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1876
Roscoff, ses cultures, son commerce
Source : Le Finistère novembre 1876, décembre 1876
1876 – Roscoff, ses cultures, son commerce
Nous empruntons au Journal officiel du 14 novembre les renseignements curieux qu'on va lire :
Situé à l'extrémité du Finistère, Roscoff est peu connu, sinon de quelques touristes, des Anglais surtout.
Il y a quelques années c'est à peine si deux ou trois familles s'y rendaient à l'époque des bains de mer.
Aujourd'hui le pittoresque de cette côte bretonne et les conditions économiques de la vie
tendent à y attirer un plus grand nombre de visiteurs.
Mais pour le public, Roscoff est surtout connu par la culture des primeurs que dans l'hiver
ce petit pays envoie sur le marché parisien.
Le journal d'agriculture pratique consacre aux cultures de Roscoff un article
auquel nous emprunterons quelques renseignements.
La grande culture proprement dite n'existe pas à Roscoff,
non plus que dans les communes environnantes.
Il faut aller dans les plaines éloignées de la mer pour y trouver
des parcelles de terre ensemencées en blé, en avoine, en betteraves,
en orge, etc., etc., et surtout en panais pour les bestiaux.
Comme fourrage pour sécher,
le trèfle est presque la seule plante qu'on rencontre.
Quelques détails à ce sujet ne seront pas inutiles,
car on ne connait pas assez en France l'industrie agricole de ce petit pays.
Pour beaucoup de gens, Roscoff est un pays de cocagne, une sorte d’Éden
où tout pousse sans que l'on se donne beaucoup de peine ;
pour d'autres, c'est à force de soins, de labeurs et d'intelligence que les Roscoffois ou Roscoffites
arrivent à tirer du sol un excellent parti.
Des deux côtés, il y a exagération, et la vérité se trouve entre ces deux extrêmes.
Roscoff est à 4 kilomètres de Saint-Pol-de-Léon, qui en est le chef-lieu de canton, où y arrive par une très-belle route, excessivement fréquentée à cause des nombreuses voitures qui sans interruption,
apportent des produits à Saint-Pol-de-Léon, de là à Morlaix, d'où on les exporte par le chemin de fer.
Cette voie n'est cependant pas la seule,
car les produits de Roscoff (*) sont souvent expédiés directement en Angleterre, et il n'est guère de semaine
où plusieurs navires chargés de légumes ne partent
pour divers points de la Grande-Bretagne.
(*) Ces produits ne viennent pas seulement de Roscoff
mais des quelques communes environnantes dont voici les noms :
Plouescat, Cléder, Sibiril, Plougoulm, et Saint-Pol-de-Léon.
Quant à Roscoff, qui assurément, en cultive une bonne partie, sa renommée vient surtout de ce qu'il est le principal centre d'expédition.
(Voir plus loin le chiffre des expéditions faites
du 1er octobre au 11 novembre 1876.)
La route de Saint-Pol-de-Léon à Roscoff, à peu près de niveau dans une grande partie du parcours,
s'abaisse insensiblement pendant au moins un kilomètre pour arriver à Roscoff,
qui se trouve ainsi peu élevé au-dessus du niveau de la mer.
En arrivant, la première habitation qui frappe la vue du voyageur est une propriété surélevée, à droite,
au-dessus de la route, et bordée de grands arbres qui la protègent contre les vents de la mer ;
à gauche de la route et jusque sur le bord de la mer, sont des terrains plats séparés par parcelles,
ainsi du reste, que cela existe dans toute la Bretagne et même dans une partie de la Normandie.
II y a toutefois une différence dans la nature des séparations qui limitent les parcelles ;
au lieu d'être construites en terre et de former des sortes de murs très épais sur lesquels
on cultive généralement des ajoncs, ce sont de véritables et larges murailles en pierres sèches, qui, dit-on,
proviennent des débris du vieux Roscoff, bâti autrefois sur les terrains plats dont nous venons de parler
et détruit par les Anglais.
Suivant la tradition, cette partie basse où existait le vieux Roscoff ou Roscogos
(en breton), était souvent recouverte en partie par la mer ;
on assure même que la plupart de ces terrains très-bas, actuellement cultivés,
ont été conquis sur les eaux.
Il n'y a pas d'amateur d'horticulture à Roscoff, et malgré le climat si doux de ce pays
où les pelargonium gèlent rarement,
et où le mesembrianthemum edule croît sur les murs à l'état sauvage,
on ne rencontre dans les jardins aucun des nombreux végétaux exotiques
qui pourraient y venir.
Aussi, un dehors des légumes et de la pêche, ainsi que des travaux qui s'y rattachent, n'y a-t-il guère d'autre industrie ;
la vie matérielle est peu agréable, et même, pour les choses de première nécessité,
on est souvent obligé de s'approvisionner à Saint-Pol-de-Léon.
Malgré sa position si favorable par le voisinage de la mer et surtout par réchauffement du sol dû au grand courant d'eau chaude sous-marin, le Gulf Stream, qui, partant du golfe du Mexique pour se diriger vers le pôle boréal,
vient frapper en passant et réchauffer cette partie du littoral breton,
la gelée et la neige ne sont pas inconnues à Roscoff ;
mais elles durent peu et n'ont guère d'influence fâcheuse sur le climat ;
la neige fond presque tout de suite, et quand le thermomètre, par hasard,
descend à 2, 3 ou même 4 degrés au-dessous de 0, il remonte promptement au-dessus,
de sorte que cet abaissement suspend à peine la végétation ;
aussi, même en hiver, on récolte à peu près sans interruption certains légumes :
les artichauts et des brocolis, par exemple.
Quant au raisin, il ne mûrit guère ailleurs qu'à l'abri des murs, encore est-il bon d'avoir des variétés hâtives.
Bien qu'il présente quelques variations dans sa composition, le sol de Roscoff est, en général,
profond et de bonne nature ;
les parties basses ou déclives qui avoisinent le plus la mer sont, comme la plus grande partie des terrains bretons,
de composition granitique, parfois schisteuse, et contiennent plus ou moins de silice.
Sur les plateaux, au contraire,
par exemple entre Roscoff et Saint-Pol-de-Léon,
l'argile parait dominer, et l'on a alors l'équivalent
de ce qu'on l'on nomme une «bonne terre franche», friable, généralement profonde et très-fertile.
Les cultures principales, dites de Roscoff,
qui s'étendent dans le voisinage de la mer
sur une longueur de plus de 20 kilomètres de Plouescat
à Roscoff, sont en général, peu variées et peuvent se réduire
aux quelques espèces de légumes dont voici les noms : artichauts, brocolis, oignons et pommes de terre.
Ce sont là, du moins, celles qui, actuellement, constituent le fonds de la culture commerciale.
Ce qui pourtant n'empêche que l'on ne cultive aussi, mais sur une échelle beaucoup plus petite,
parfois comme accessoire ou pour son propre compte, d'autres espèces, telles que :
asperges, choux divers, choux fleurs, carottes, haricots, puis, navets, poireaux, etc., etc.
Mais il est hors de doute que, au besoin, les Roscoffites pourraient cultiver pour l'exportation beaucoup de légumes autres que les quelques sortes sur lesquelles, jusqu'à présent, s'est portée la spéculation.
Déjà cette année, à la demande et pour le compte d'un gros spéculateur,
quelques cultivateurs Roscoffites vont se livrer, sur une très-grande échelle, à la culture de la chicorée frisée,
et lors de notre passage à Roscoff, le 22 août, c'était par centaines de mille qu'ils préparaient les plants.
Le terrain étant en très-grande partie consacré à la culture des légumes, les engrais pailleux,
c'est à-dire le fumier, sont toujours fort rares à Roscoff, de même que dans les quelques communes avoisinantes.
On les remplace par des plantes marines nommées goémons
ou varechs (fucus) d'espèces diverses
que l'on ramasse à marée basse et qu'on mélange
avec du sable de mer, lequel contient toujours
une grande quantité de sels calcaires provenant
de la décomposition d'animaux marins, de mollusques surtout.
Ces goémons ne s'emploient jamais qu'après
que l'eau de mer s'en est écoulée.
On les conserve facilement et pendant longtemps.
Pour cela il suffit de les faire sécher et de les mettre en tas.
Le sable, non plus, ne doit s'employer que lorsqu'il est égoutté et qu'il ne contient plus d'eau de mer.
Ce n'est que très-exceptionnellement et par les années extrêmement sèches que les Roscoffiles arrosent.
Parfois on entoure le pied des légumes avec une poignée ce goémon,
qui a pour résultat de maintenir le sol frais en s’opposant à l'évaporation,
d'ailleurs beaucoup moindre sous ce climat maritime qu'elle le serait sous un climat continental.
Pour l'écoulement des produits deux moyens sont employés :
d'une part, la voie ferrée (ligne de Bretagne) dont la gare est à Morlaix,
où l'on charge les produits qui sont expédiés à Brest et surtout à Paris.
Souvent aussi un bateau à vapeur les transporte de Morlaix au Havre.
L'autre moyen, de beaucoup le plus usité, est directement la voie de mer, ce qui se comprend,
Roscoff possédant un port marchand où, en tout temps, les vaisseaux peuvent aborder et sont parfaitement à l'abri.
Aussi y a-t-il presque toujours des bâtiments en partance à destination de l'Angleterre,
où s'exporte une grande partie de ces produits.
Voici, sur le commerce de Roscoff en 1875 ,
des renseignements précis :
Expéditions :
pommes de terres, 7,803,055 kilog.
pour une valeur de 936.367 fr. ;
légumes verts, oignons et autres 3.070.104 kil.
d'une valeur de 307,010 fr.;
artichauts, choux fleurs, asperges, etc., 2,000 000
d'une valeur approximative de 200,000 fr.,
soit 12,873,159 kil. et 1,443.377 francs.
À ces chiffres vient s'ajouter l'expédition d'un nombre considérable de homards enfermés dans un parc ;
il en a été expédié 14,600 qui représentent 17,000 fr.,
chiffre en douane ;
le tout s'expédiant par voie de terre pour le chemin de fer
et le bateau à vapeur de Morlaix au Havre
ou dans les départements voisins jusqu'au Mans et Nantes,
où les légumiers vont avec leurs charrettes.
Roscoff expédie, en outre, des feldspaths et des sardines salées et en conserve.
La prodigieuse fertilité des terrains de Roscoff, en donnant lieu à un commerce actif,
appelle sur ce point du Finistère une population laborieuse (*), qui tend constamment à s'accroître et qui,
comme conséquence, tend continuellement aussi à faire élever la valeur des terrains.
(*) Roscoff compte actuellement environ 4,000 habitants.
Ainsi les prix de 12,000 fr. à 16,000 fr. l'hectare ne sont pas rares, et l'on nous a montré un terrain placé dans la partie du vieux Roscoff, d'une surface de moins d'un hectare, qui venait d’être vendu 18,000 francs,
bien que l'occupant, qui a encore quatorze ans de bail, ne paye que 400 fr. de location annuelle.
Néanmoins, malgré cette extension continuelle du commerce, qui détermine un bien-être général dans le pays, l'aisance et même la fortune chez beaucoup, le matériel employé par les cultivateurs se modifie peu.
Presque tous les habitants ont un cheval et une voiture, la lourde et peu gracieuse charrette bretonne.
Nous compléterons cette étude publiée par le Journal officiel sur le commerce de Roscoff,
par les détails suivants que le correspondant particulier du Finistère nous adresse à la date du 13 novembre :
il a été expédié pendant le mois d'octobre 36 navires allant en Angleterre
qui ont exporté 1,339,778 kilog. de pommes de terre et 62,892 kilog. de légumes verts et oignons.
Il a été expédié du 1er au 11 novembre 14 navires qui ont exporté en Angleterre
1,148,186 kilog. de pommes de terre et 10,000 kilog. de légumes verts et oignons.
Le marché reste continuellement ferme, les pommes de terre plates blanches se vendent de 15 à 16 fr. les 100 kilog. et les rouges 12 fr. les 100 kilog.
Il paraît qu'il y a encore une quantité considérable de pommes de terre à vendre chez les riches campagnards
qui se décident à vendre ;
ils envoient ensemble jusqu'à 6 et 7 mille kilog. chacun
et il y en a qui ont encore chez eux près de 50,000 kil. à vendre.
Roscoff.
Le correspondant du Finistère nous a adressé le 28 novembre les renseignements suivants :
Le commerce des pommes de terre suit son cours à peu près régulier ;
depuis quelques jours, il y a même un peu de hausse dans les prix.
Ainsi les pommes de terre rouges vont aujourd'hui à 13 fr. les 100 kilogrammes
et les blanches plates à 16 et 17 francs.
Malheureusement le mauvais temps rend très-difficile, sinon impossibles, les communications avec l'Angleterre.
Du 13 au 26 novembre, inclusivement, dix navires entièrement chargés de pommes de terre
ont cependant quitté notre port, savoir :
Le 13 novembre, Célina-James, sloop, et Lizzia, goélette,
à destination de Bristol ;
James, sloop, à destination de Londres ;
Una, sloop, à destination de Portsmouth.
Le 16, Intrépide, sloop, allant à Cardiff, et Louise, goélette,
allant à Swanzéa.
Le 18, Emma-Jane, sloop, allant à Bristol.
Le 22, Rival, sloop, allant à Plymouth.
On voit par-là que, malgré le mauvais temps, l'activité est assez considérable dans notre petit port.
Cinq navires opèrent en ce moment encore leur chargement :
Téazer, James et Volant, entrés au port le 23, Amazone et Brillant, entrés le 26 novembre.
Ces cinq navires reviennent de la côte anglaise où dis ont déjà fait plusieurs livraisons de pommes de terre.
Quant à la pêche, elle ne constitue pas, à vrai dire, une branche bien importante du commerce de Roscoff ; cependant, il y a toujours une vingtaine de bateaux armés pour la petite pêche côtière.
On prend surtout des raies et des congres, et, en somme, les résultats sont assez importants
pour qu'on y prête quelque attention : vous en jugerez par les chiffres suivants :
Nos pêcheurs sont loin de se plaindre, nos cultivateurs sont assez satisfaits :
en résumé, les Roscoffites ont été assez favorisés cette année au point de vue commercial.
Il n'en est malheureusement pas de même au point de vue sanitaire.
Depuis six ou sept mois, la fièvre muqueuse a fait son apparition chez nous,
et l'on a beaucoup de peine à s'en débarrasser.
Ce n'est pas que la mortalité soit grande, mais il y a plusieurs familles dont chacun des membres tombe malade
l'un après l'autre, ce qui cause beaucoup de souci, et souvent, hélas, beaucoup de gêne.