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Fenêtres sur le passé
1881
Le Père Gérard et son Curé
Source : Le Finistère août 1881
Le Père Gérard et son Curé
— Bonjour, Père Gérard !
— Comment, monsieur le curé, vous me dites le premier bonjour, à moi, un républicain,
qu'on traite de rouge, presque de communard !
— Que voulez-vous, mon cher monsieur !
Nos jeunes prêtres oublient trop souvent d'où ils sont sortis ;
ils ont honte quelquefois d'être nés dans la chaumière ;
eux, des fils de paysan pour la plupart, ils se gonflent d'orgueil d'être reçus au château,
et c'est bien par la vanité que les Jésuites et les ennemis de la Révolution les attirent ainsi à eux.
— Continuez, monsieur le curé, vous parlez d'or.
— Je dis ce que je pense et ce qui est vrai, Père Gérard,
et je vais vous en citer un exemple :
Il y a vingt ans de cela, j'avais choisi pour enfant de chœur
un bambin du catéchisme.
Il avait la tête blonde, l'œil Intelligent et la mine éveillée ;
il apprenait tout ce qu'il voulait ;
je m'intéressai à lui, je lui donnai les premières leçons de latin ;
bref, je le fis entrer au séminaire et il y a cinq ans
il était nommé vicaire.
J'eus sa visite, il y a de ça dix-huit mois,
justement à l'époque du 16 mai ;
eh bien ! vous ne pouvez pas vous imaginer les idées insensées dont sa pauvre tête était bourrée.
L'abbé regardait nos villageois du haut de sa grandeur ;
il ne reconnaissait personne ;
monsieur l'abbé disait que les paysans devaient être menés
et conduits comme un troupeau de moutons ;
monsieur l'abbé tranchait du haut et puissant seigneur ;
on eût dit qu'il était né d'un prince ou d'un marquis ;
bien mieux, Père Gérard,
monseigneur l'abbé n'aimait plus la bouillie de blé noir !
Et lui qui autrefois buvait de l'eau chez son bonhomme de père,
il ne pouvait plus dire sa messe
qu'avec du bordeaux première qualité !
Géniaux Charles-Hippolyte-Jean
(12 novembre 1870 - 19 mars 1931)
(Photographe) ; 1900 – 1915
Photographie prise dans le transept nord de l'église
Notre-Dame-de-la-Tronchaye à Rochefort-en-terre.
Deux enfants de chœur montent de hautes marches.
Ils tiennent des lanternes de procession.
Pendant deux jours qu'il resta au presbytère, il ne fit plus que déblatérer contre la Révolution
et prêcha la venue d'Henri V.
Cela, père Gérard, me consterna, car je compris bien vite ce qui avait pu lui troubler l'esprit au point d'acclamer justement un régime qui avait peut-être donné la bastonnade à son grand'père.
Franchement il était temps qu'il s'en allât, car il commençait à m'échauffer les oreilles.
Eh bien ! voilà pour moi le danger qui entoure les jeunes prêtres ;
c'est qu'ils sont, au sortir du séminaire en relations et en contact avec monsieur le comte ou avec madame la marquise ;
c'est qu'ils deviennent fatalement leurs humbles serviteurs ;
c'est qu'ils sont obligés, bon gré mal gré, d'accepter leurs idées
et de combattre pour leur drapeau ou sans cela....
monseigneur l'évêque y mettrait bon ordre.
— Est-ce que vous pensez, monsieur le curé, qu'il y a un remède à cet état de choses ?
— Parfaitement, et j'en suis, moi, un exemple vivant.
Je vais au château comme je vais à la chaumière ;
je salue avec autant de plaisir le père François que M. le comte.
Je fais mon catéchisme, je prêche mes paroissiens, je visite mes pauvres, je console les affligés,
je soulage les malades sans m'inquiéter s'ils tiennent pour ou contre la République ;
je ne prends parti pour personne en politique ;
je ne m'occupe pas d'élections, ça n'est pas mon affaire ;
je pratique la tolérance, je recommande l'apaisement entre tous,
parce que je suis le ministre d'une religion qui n'est que paix et charité.
Je suis indépendant, en un mot, Père Gérard.
Et voilà pourquoi on aime son curé, voilà pourquoi on le respecte !
Et quand on aime et qu'on respecte son curé, on n'est pas loin, n'est-ce pas, d'aimer et de respecter la religion ?
— Comme vous parlez en homme sage, monsieur le curé !