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Fenêtres sur le passé
1891
Les Ozanne
Une famille d'artistes Brestois
Charles Jacques Émile Auffret
Naissance : Brest, 01-07-1838
Mort : Paris, 9e arrondissement, 26-10-1911
Médecin en chef de la Marine.
Chirurgien.
Professeur à l'École de médecine navale
de Brest.
Directeur du Service de santé de la Marine
à Rochefort (vers 1895).
Membre correspondant
de l'Académie de Médecine (élu en 1899).
Commandeur de la Légion d'honneur (1900).
Docteur en médecine (Montpellier, 1869)
Source : La Dépêche de Brest 22 juin 1891
Le 12 janvier 1728, naissait à Brest, en l'hôtellerie de la Tête noire,
située près du marché Saint-Louis, l'angle des rues Fraizier et de la Mairie, d'Adrien Ozanne, patron de l'hôtellerie, et de Marie-Jeanne Pelletier,
sa femme, Nicolas-Marie Ozanne, l'aîné d'une famille d’artistes brestois auxquels M. le docteur Auffret vient de consacrer, sous ce titre :
Une famille d'artistes, brestois au XVIIIe siècle, les Ozanne,
un très beau et très intéressant volume.
Nicolas montra de bonne heure des dispositions pour le dessin.
Son père, qui avait eu, lui, un vif penchant pour l'art de la cuisine,
où il réussissait fort bien, n'y mit pas obstacle.
Le jeune artiste n'avait pas quinze ans qu’il était nommé dessinateur,
aide de Rowin, maître à dessiner des gardes de la marine.
Il commençait ainsi de bonne heure une carrière qu'il devait terminer
le 5 janvier 1811, laissant un ensemble de travaux, dessins et gravures
qui recommanderont pour longtemps son nom à l'estime des amateurs
et des gens de goût.
Son frère Pierre, né neuf ans plus tard et son élève, marcha sur ses traces et fournit une carrière peut-être plus remplie encore.
De ses trois sœurs, deux, les cadettes, Marie-Jeanne et Jeanne-Françoise, ont mérité qu'à côté du nom de leurs frères, le leur ne fût pas oublié.
Voilà véritablement une famille d'artistes.
Il faut remercier M. Auffret d'avoir rappelé sur leurs œuvres
l'attention publique.
« En écrivant ce livre, dit-il dans sa préface, nous avons eu un double but :
Plein d'admiration pour la famille des artistes brestois, nous ayons tenu
à les faire connaître et apprécier dans leur existence et dans leurs œuvres.
Mais tout en rendant un légitime hommage à leur talent comme à leurs qualités de cœur, nous ne pouvions oublier que leur crayon nous a légué la plus belle représentation figurée de la marine d'une époque qui ait jamais été faite ;
qu'il a rendu toutes les grandes scènes maritimes de la fin du XVIIIe
et du commencement du XIXe siècle et qu'il a contribué à immortaliser
ces brillantes escadres qui, de 1775 à 1810, ont vécu dans la lutte en traçant leur poème épique sur toutes les mers non sans gloire,
sinon toujours, avec un bonheur égal. »
Et après nous avoir donné la biographie des quatre artistes et la liste de leurs œuvres,
M. Auffret en décrit les principales et rappelle l'événement qu'elles représentent,
le combat dont elles sont destinées à rendre visible le souvenir.
L'étude ainsi est complète.
Lisez les pages dans lesquelles il analyse et apprécie l'œuvre du plus jeune des deux frères, de Pierre Ozanne :
Les beaux dessins de Pierre Ozanne sont moins difficiles à rencontrer que ceux de son frère,
dont la majeure partie est au Louvre.
Ses croquis, ses ébauches au crayon et à la plume surtout, sont plus répandus.
Il dessinait communément à la pierre d'Italie, sur un papier bleu dont le temps a adouci la crudité,
ou sur un papier gris jaunâtre, et rehaussait ensuite son œuvre au crayon blanc ;
mais il dessinait aussi au crayon noir, à la mine de plomb, à la sanguine, au lavis, à la sépia.
Ce sont là ses œuvres finies, achevées.
Ses croquis, à la plume, moins complets, mais pleins de mouvement, d'esprit et d'humour,
sont jetés à la volée sur le papier de marine de l'époque, résistant, sonore, légèrement bleuté,
un peu enfumé ou jauni par les années, mais que sa solidité a protégé des injures du temps.
Ce n'est souvent qu'une idée, une pensée, un trait rappelant
un site, une côte, une manœuvre.
Pour lui, la rade de Brest est une grande place publique
où il passera tout en revue, depuis la plate de l'ouvrier calfat jusqu'au vaisseau à trois ponts à l'arrière sculpté et doré des Puget ou des Caffieri ;
mais il n'oubliera pas non plus le bateau de Lanvéoc,
les bateaux de passage chargés de fraises de Plougastel,
et l'interminable ligne des célèbres Marie-Salopes.
Marie-Salope dans le port de Brest
Nous partageons volontiers le jugement de l'auteur des Menus propos :
L'artiste se juge aussi bien, mieux peut-être, dans ces quelques traits que dans ses dessins achevés.
Nous possédons, entre autres, un de ses croquis que peu d'instants ont suffi à produire,
l'Hermione de Saint-Domingue.
On ne saurait se faire une idée de ce que ces jets de plume, saisis sur nature, ont de vie et parlent à l'esprit.
Ce sont ces scènes qu'il prenait, assis au fond d'un canot, conduit par deux mousses, quelquefois doucement bercé, d'autres fois ballotté au gré de la mer capricieuse de notre pays.
Parfois enfin ses croquis sont plus grossiers encore et ne sont destinés qu'à aider ses souvenirs.
Ce ne sont que des notules prises au courant de la plume,
qui lui permettront, dans le cabinet, de reproduire une grande scène maritime.
L'homme de talent seul, a cette conception aisée et cette puissance pour la rendre.
On assiste avec l'auteur, quoique cent ans après,
au feu de l'action.
Au centre, c'est un navire qui saute ;
à droite, l'arrière d'un vaisseau désemparé ;
à gauche, un autre vaisseau sous voiles
vu par le bossoir de tribord ;
partout sur l'eau des débris, des mâts, des agrès...
et tout cela en vingt traits de plume.
Et que ne dirons-nous de ces spirituels croquis dont le musée
de marine a la possession et dont nous donnons
plus loin la nomenclature ?
Pierre Ozanne dessinant,
réduction du fac-similé d'un dessin original de Pierre Ozanne
Il veut dessiner un navire, il commence par une ébauche précise,
presque géométrique ;
ce n'est que le gabarit de l'œuvre qu'il reprendra plus tard pour la parfaire.
Il lui suffisait de passer peu de jours dans une rade nouvelle
pour y saisir tout ce qu'il y avait d'intéressant :
vues de pays, de côtes, personnages, costumes...
Quant à ses types de Sénégalais, Gabonais, Signares, ils ne sont pas rares.
Le trait en est ferme, expressif ;
si ce sont des têtes dessinées d'après nature dans les colonies,
le caractère de la race y est nettement accusé ;
il a le crayon de l'anthropologiste.
Ses grands dessins à la pierre d'Italie rehaussés de blanc
ne dépareilleraient aucune collection d'amateur :
telle la série de planches reproduisant les campagnes du Comte d'Hector, au musée de Morlaix ;
mais telle surtout la riche collection du musée de marine.
Portrait de Pierre Ozanne,
d'après une eau-forte de J. Coiny
C'est la science de la mer écrite avec le crayon de l'artiste, mais sans raideur et surtout sans ennui,
ce qui est un talent dans des sujets toujours un peu semblables à eux-mêmes.
Tous sont précis mais sans afféterie, sans la minutie de celui qui, voulant tout montrer,
devient tellement technique qu'il fatigue et éloigne.
Quand il se sert du crayon à la mine de plomb, le trait est net ; mais alors il n'ombre pas ou peu ;
ce ne sont guère que des ébauches,
parfois très soignées, exemple : la Ville des Cayes.
Le trait en est d'une finesse exquise,
mais ne les regardez pas de trop près ;
ils sont faits pour être vus à quelque distance,
sauf les navires qui sont d'un fini achevé.
Il ne faut pas croire qu'il se soit limité à l'étude de la marine ;
nous connaissons de lui plusieurs paysages ; mais ces œuvres ne sont que des incidents dans sa vie d'artiste ;
la mer est son élément et c'est là qu'il règne.
Le combat du Vengeur est demeuré célèbre.
Pierre Ozanne a rendu cet épisode héroïque
des guerres maritimes de la Révolution dans un dessin
que M. Auffret décrit ainsi ;
L'épisode du combat du Vengeur, 13 prairial an II
(1er juin 1794), sous les ordres de Renaudin faisant partie
de l'escadre de Villaret-Joyeuse, est connu de tout le monde.
On en a même quelque peu défiguré l'histoire
qui a été rectifiée par Levot.
Ce qu'il y a de sûr, c'est que, pendant le combat, ce vaisseau fut englouti avec une partie de son équipage.
Au moment où s'accomplissait cet épouvantable drame maritime qui coûtait la vie à deux cents six hommes,
les derniers cris de ces martyrs du devoir étaient encore un hommage à leur patrie.
C'est cette scène qu'a rendue le pinceau de P. Ozanne dans un beau dessin un peu théâtral à l'encre de Chine
de 0,42 de hauteur sur 0,70 de largeur (musée de marine).
Les navires sont rapprochés, massés.
C'est le Tigre, dont l'arrière se présente à l'extrême droite ;
ce sont partout, dans le fond et du même côté les vaisseaux de l'amiral Howe.
Au centre, c'est le Vengeur, qui s'enfonce lentement en s'inclinant sur tribord ;
les derniers canons tirent à fleur d'eau ;
les dernières salves des fusiliers partent de la galerie du commandant et de la hune du mât d'artimon,
car le Vengeur va sombrer sans avoir reçu le secours espéré du 31 Mai qui passe sur l'arrière à gauche.
Dans le fond de ce côté, l'escadre française qui, dans l'action, perdit sept vaisseaux, mais qui, par ce sacrifice,
achète chèrement le résultat désiré, l'entrée à Brest d'un convoi de grains attendu d'Amérique.
Au premier plan :
partout des débris flottants sur lesquels des naufragés implorent des secours,
et les eaux clapotent sous le jet des projectiles.
L'action, nous le répétons, est un peu théâtrale, mais pleine de mouvements,
et Le Goaz a mis son burin au service de cette scène tragique.
Citons encore cette description d'un dessin représentant
le combat de la Bayonnaise et de l’Embuscade :
Le combat de la Bayonnaise et de l’Embuscade est un beau dessin à l'encre de Chine de 0,35 sur 0,58, en largeur.
Le 24 frimaire an VII (14 décembre 1798), à trente lieues
de l'île de Ré, Richer (Jean-Baptiste), lieutenant de vaisseau, commandant la Bayonnaise, de 24 canons de 8 en batterie
et de 8 canons sur les gaillards, soutenait un combat
de quatre heures quarante minutes contre la frégate
de 40 canons l'Embuscade, devenue anglaise par la prise
qui en avait été faite dans l'affaire de la division Bompard.
Cette frégate fut reprise à l'abordage après une résistance acharnée.
Richer avait été gravement blessé dans ce beau combat, qui lui valait le grade de capitaine de vaisseau.
Pierre Ozanne a reproduit au lavis cette scène héroïque.
Le dessin est pris au moment où l'avant de la Bayonnaise atteint violemment
le bossoir de tribord arrière de l'Embuscade.
Le beaupré de la première se brise sous le choc, mais le mât d'artimon de la seconde tombe avec fracas
et fait pont entre les deux navires ;
les matelots de la Bayonnaise le franchissent le sabre au poing.
Du pont et des hunes de celle-ci part un feu nourri qui balaye à bout portant le navire ennemi.
La voilure porte les traces d'un combat à outrance, et le commandant Richer, sur la passerelle, dirige l'action,
le pistolet d'une main, le porte-voix de l'autre.
Des nuages de fumée chassés sous le vent encadrent l'action, mais n'empêchent pas d'en saisir tous les détails.
Pierre Ozanne est bien ici ce qu'il est toujours, le dessinateur habile, doublé de l'ingénieur et du marin.
Le Gouaz, qui a gravé la planche, a déposé le burin délicat qui a fixé sur le cuivre les Vues des ports de France, pour une pointe plus ferme, précise et énergique comme l'action.
Au bas de la planche gravée se trouve la liste nominative des officiers, maîtres, matelots, mousses, passagers qui se trouvaient à bord
au moment du combat.
Nous aimons cet hommage rendu aux plus humbles des combattants, en face des noms desquels nous trouvons les mots laconiques
et significatifs blessé, tué.
Il flatte moins que les splendides dédicaces qui ornaient naguère
la marge du bas des planches,
mais il touche davantage dans sa simplicité.
Une illustration bien choisie nous met sous les yeux les fac-similés
des principaux dessins des Ozanne et achève de donner tout son prix à ce luxueux ouvrage, qui fait honneur à son auteur et à son éditeur.
Portrait présumé de Nicolas Ozanne.
Date inconnue. Fin du XVIIIème siècle.
Toile. H. 66 cm, l. 55 cm, H. 80 cm, l. 69 cm (cadre).
Musée national de la Marine
Auteur inconnu
Déjà, le ministère de la marine s'est inscrit au nombre des souscripteurs.
Tous ceux qui s'intéressent aux choses de l'art, Brestois et marins surtout, feront aussi à ce livre,
sans nul doute, un excellent accueil.
M. Auffret s'applaudira ainsi doublement d'avoir consacré à des recherches forcément longues
dans les archives de nos ports et de la marine ses loisirs de dix années.
Il ne pouvait en faire meilleur emploi.
Les frères Ozanne,
réduction du fac-similé d'un dessin original inédit de Pierre Ozanne