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Fenêtres sur le passé
1893
De Bretagne en Angleterre
Source : La Dépêche du Finistère 23 avril 1893
Nous avons parlé, il y a quelque temps, d’un projet formé par MM. Le Roux,
vice-consul de France à Manchester, et de Kerjégu, député du Finistère,
tendant à créer une ligne de paquebots à vapeur entre la Bretagne et l’Angleterre.
Une réunion eut lieu à Quimper, où furent appelés des divers points du département ceux de nos concitoyens qui, par leur situation semblaient le mieux à même de saisir toute l'importance du projet et d'apporter un concours compétent à sa réalisation.
Il n'y eut pas une objection sur l’intérêt, qu'il y avait pour notre région bretonne
à activer les relations qu'elle entretient déjà avec l'Angleterre ;
la Bretagne n'est pas un pays industriel ;
ce ne sont pas les produits de son industrie qu’elle exporterait en Angleterre ;
mais elle peut trouver dans la grande île, dont quelques heures de mer seulement nous séparent, un écoulement pour les produits de son sol,
et c'est là une source de richesse qu'on aurait tort de négliger.
D'autant plus qu'il ne s'agit que de faire sur une plus vaste échelle ce qui se fait déjà, de développer un mouvement qui existe et depuis longtemps.
Roscoff envoie des légumes en Angleterre ;
Plougastel, dans quelques jours, y enverra des fraises.
Le doux climat de nos côtes bretonnes est à merveille pour les cultures maraîchères, et justement nous avons pour ainsi dire à nos portes un estomac exceptionnel
qui ne demande qu'à être largement approvisionné et à engloutir.
Léon-Guillaume Le Roux
Né le 9 septembre 1837
Rue de l'église, Landivisiau
Décédé le 23 sept.1912 - Sarzeau
1881, Vice-consul à Manchester
1894, Consul à Hong-Kong
1901, Consul général de France.
James Marie Kerjégu
L'Angleterre ne produit pas ce qu'elle absorbe, tant s'en faut ;
pour se nourrir, elle fait appel aux produits du continent.
La Normandie lui expédie chaque année d'énormes quantités de beurre, d'œufs, de volailles.
Pourquoi la Bretagne n'en ferait-elle pas autant ?
Jusqu'à présent, la réponse à cette question a pu être le défaut de communications régulières
et suffisamment rapides.
Quelques essais ont bien eu lieu, à diverses époques ;
ne prit on pas toutes les mesures voulues pour qu'ils donnassent les résultats qu'on s'était proposé d'obtenir ?
Un courant commercial ne se détermine pas du jour au lendemain.
Il y faut de multiples soins ;
une large publicité doit être faite autour de l'entreprise pour que, comme on dit en style de procédure,
nul n'en ignore ; il faut susciter les initiatives.
Tout cela exige du temps, de la patience,
et peut être ne mit on pas suffisamment de persévérance
dans les essais qui furent tentés.
Peut-être se découragea-t-on trop vite.
Quoi qu'il en soit, une tentative nouvelle va être faite.
L'œuvre est trop d'intérêt public
pour que nous n'y applaudissions pas.
Nous l'avons déjà annoncé, un service régulier et hebdomadaire de vapeurs à grande vitesse entre Lorient
et Swansea, via Douarnenez et Brest, et vice versa, commencera le 1er mai prochain.
Le premier vapeur devait partir de Lorient le 4 mai, à dix heures du matin, de Douarnenez le 6, à huit heures du soir, et de Brest le 7, à sept heures du matin, pour arriver à Swansea le 8 mai, à dix heures.
En raison de l'état sanitaire de Lorient, on a renoncé provisoirement à cet ordre de mise en marche.
Le Gipsy arrivera à Brest le 1er mai pour en partir au jour et à l’heure dite.
Chaque semaine ensuite, le service se continuera.
Un service hebdomadaire, c'est peu ;
pour obtenir l'approvisionnement régulier de tel ou tel marché anglais, nos producteurs bretons sentiront le besoin peut-être de communications plus fréquentes ;
mais nous ne sommes qu’au début d’une entreprise ;
il faut attendre les premiers résultats ; l’expérience prononcera.
De même pour les escales.
On peut penser aussi que mieux vaudrait moins de points d’attaches de la ligne, un seul et même départ de Brest,
à l’extrême pointe de la presqu’île bretonne, et où aboutissent les chemins de fer de l’Ouest et de l’Orléans,
serait ainsi tout indiqué pour être cet unique point d’attache ;
les chemins de fer apporteraient les produits du sud et du nord-Finistère, du Morbihan et même des Côtes-du-Nord, dont la plus grande partie est à moins de temps de Brest que de Saint Malo ;
et au lieu d’un départ, il y en aurait deux, trois peut être …
Il est certain que, dût-elle entrainer un peu plus de frais,
la plus grande facilité dans le transport des marchandises
et leur plus grande rapidité — au moins pour tout ce qui touche à l'alimentation — sont de très sérieux éléments de succès.
Mais, encore une fois, nous ne sommes qu'au début
d'une entreprise, et c'est moins l'expression de divergences dans la conception qu'il faut apporter à ceux qui en ont pris l'initiative qu'un concours empressé.
Nous nous félicitons donc de cette entreprise, faite — nous le savons de bonne source — dans un véritable esprit
de dévouement à l'intérêt public, et nous souhaitons vivement qu'au lieu d'avoir le sort de celles qui ont précédé,
elle trouve le succès.
C'est l'intérêt de la Bretagne, et c'est aussi celui du port de Brest,
qui mériterait bien qu'on ait ici pour lui quelque ambition.
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Source : La Dépêche de Brest 1 mai 1893
Le steamer Gipsy, qui doit inaugurer la nouvelle ligne régulière de vapeurs à grande vitesse entre Lorient, Douarnenez, Brest et Swansea, a été visité hier, au 1er bassin du port de commerce, par un très grand nombre de personnes.
Mâté en goélette et d'aspect très coquet, le Gipsy, qui est monté par douze hommes d'équipage,
mesure 40 mètres de longueur ;
sa largeur est de six mètres et sa profondeur, au-dessous du pont, est de trois mètres.
Ce steamer, dont la coque est toute en fer, jauge 81 tonneaux 34 et il possède deux machines Compound ;
sa vitesse moyenne est de 11 nœuds.
À partir du 6 mai, le Gipsy chargera à Brest, à destination de Swansea, tous les dimanches matins, jusqu'à six heures.
Il arrivera à temps à Swansea, saut le cas de force majeure, pour réexpédier les marchandises par les trains
de l’après midi, qui les rendront le mardi matin à Londres, Birmingham, Manchester et autres villes de l'Angleterre.
Le même steamer chargera à Lorient tous les jeudis, jusqu'à dix heures du matin,
et à Douarnenez tous les samedis, jusqu'à sept heures du soir.
Disons en terminant que la compagnie a installé un vaste magasin, sur la jetée du 1er bassin,
pour la réception des marchandises.
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Source : La Dépêche de Brest 10 mai 1893
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Source : La Dépêche de Brest 20 mai 1893
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Source : La Dépêche de Brest 12 juin 1893
Le Gipsy, arrivé hier matin, à six heures, au port de commerce, en est parti à 6 h. 1/2,
effectuant son 5e voyage pour Swansea, après avoir chargé 5,000 fardeaux de fraises pesant 20 000 kilos,
560 fardeaux de cerises pesant 5 000 kilos, 500 fardeaux de bigarreaux pesant 5,000 kilos,
500 fardeaux de cassis pesant 5,000 kilos et 25 paniers de homards.
Le chargement du steamer à Douarnenez ne s'était pas fait sans incident.
Mercredi soir, comme le navire arrivait en vue du port, un rassemblement de plus de 200 femmes
se formait pour l'attendre à Port-Rhu et l'empêcher d'accoster.
Très surexcitées et rebelles à tout ce qu'on pût leur dire, ces femmes prétendaient que l'exportation du beurre,
des œufs, des légumes, en vue de laquelle le Gipsy est armé, ne pourrait avoir pour résultat
qu'un renchérissement de ces denrées.
Le lendemain jeudi, nouveau rassemblement plus sérieux.
Les femmes ne parlaient de rien moins que de jeter à la mer les marchandises à embarquer.
La police et la gendarmerie durent intervenir ; une femme fut mise en prison.
Cela calma un peu les autres.
L'arrivée de l'évêque vendredi fit-elle diversion ?
Mais samedi l'agitation recommençait, comme nous l'apprend
la lettre suivante, datée de Douarnenez, hier matin :
Le chargement du Gipsy, commencé vendredi, s'était passé
avec le plus grand calme ;
mais hier, samedi, une vingtaine de caisses d'œufs et quelques paniers
de beurre, arrivés par le train de deux heures, étant transportés
par des charrettes au quai, d'où on devait les embarquer à bord du vapeur, un rassemblement de femmes et de quelques marins plus ou moins ivres
se forma, et lorsqu'il s'est agi de mettre caisses et paniers à bord
d'un canot, la foule, grossie, empêcha tout embarquement.
Trois ou quatre caisses d'œufs ont été jetées à la grève, sur les roches, où elles se sont cassées :
en même temps, on emportait des paniers de beurre.
Ça été, pendant que quelqu’un était allé chercher la police et la gendarmerie, un vrai pillage.
À l’arrivée des autorités, le maire en tête, les esprits se sont un peu calmés ;
mais, peu de temps après, et lorsque la foule s'aperçut qu'on allait transporter les marchandises à la gare,
le pillage a recommencé.
Ce n'est qu’avec beaucoup d'énergie que l'on a pu retirer des mains de ces furies le restant des marchandises.
« Sans l'énergie de la gendarmerie et de la police et leur dévouement, toutes les marchandises auraient été pillées. »
On voyait des scènes de ce genre se produire en France, dans les diverses provinces, à la veille de la Révolution, lorsque Turgot eut aboli les douanes intérieures.
Parce que les grains du Bourbonnais, par exemple, où la récolte avait été abondante,
allaient être transportés dans la province voisine, où la récolte avait été moins bonne,
les paysans du Bourbonnais s'imaginaient qu'on allait les affamer.
C'est précisément dans un but contraire que Turgot établissait la liberté du commerce.
Espérons qu'on aura raison de l'hostilité des femmes de Douarnenez
et qu'on ne verra plus ces scènes d'un autre âge.