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Fenêtres sur le passé
1896
Un corsaire brestois sous Louis XV
Source : La Dépêche de Brest 15 janvier 1896
Le savant archiviste municipal de Brest, M. le docteur Corre, a entrepris, il y a déjà quelques années,
et poursuit avec une louable persévérance, sur le Brest d'autrefois, des études érudites du plus grand intérêt.
Les unes ont paru dans la Revue rétrospective.
Ainsi : Une actrice de province, Madame Dorbigny, émouvante histoire d'une malheureuse femme qui,
après avoir joué à Amiens, à Paris, à Bordeaux, mené une vie errante du midi au nord et à l'est,
vint échouer à Brest en 1784, se lia avec un officier de dragons qui mourut l'année suivante,
et mourut elle-même en 1791, sans doute dans la misère.
Le mois dernier, M. Corre donnait à la Révolution française une série de lettres de Blad,
député de Brest à la Convention, relatives au procès de Louis XVI et à la révolution du 31 mai 1793.
Le Bulletin de la société archéologique du Finistère a eu sa large part de ces études, parmi lesquelles nous citerons
les Procédures criminelles en Basse-Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles,
les Anciennes corporations brestoises,
les Milices brestoises, un Corsaire brestois sous Louis XV.
Dr Armand Corre
(au premier rang, troisième en partant de la gauche),
Guadeloupe 1885.
Le mot de corsaire appelle tout de suite l'idée de combats et d'aventures.
Le corsaire dont M. Corre raconte l'histoire, « la Sauterelle »,
navire de 200 tonneaux, percé à 18 canons et armé de 16,
a croisé, pendant l'année 1757 et les premiers mois de 1758,
entre la France et l'Angleterre,
cherchant les navires de commerce anglais auxquels il pourrait utilement donner la chasse.
Le capitaine Beauregard, lieutenant de frégate, commandait « la Sauterelle » ;
il avait 180 hommes d'équipage, et presque coup sur coup, en février 1757,
il s'empare de trois petits navires qu'il fait conduire, les deux premiers à Saint-Malo, le troisième à Brest.
Il prend ensuite deux navires suédois ;
mais ce sont navires neutres : l'un est déclaré de mauvaise prise, le chargement de l'autre est retenu par la marine, puis le navire lui-même restitué à l'armateur.
Après s'être fait réparer à Saint-Servan, « la Sauterelle » reprend la mer à la fin de mai.
Le 13 juin, elle capture un bateau anglais qui, cinq jours auparavant, avait été pris par un corsaire de Saint-Malo,
puis repris par un corsaire de Guernesey.
Le lendemain, nouvelle prise ;
le bateau jauge 160 tonneaux et le chargement est important ;
mais les officiers et les hommes de l'équipage à qui la garde en est remise l'abandonnent en rade de l'Aber-Ildut,
et il devient la proie de deux corsaires malouins.
Autre prise le 22, puis le 30, et « la Sauterelle » rentre à Brest.
Les détails manquent sur la croisière qu'elle fit ensuite, mais on présume que le navire dut tomber
aux mains des Anglais.
Le 18 mars 1758, le capitaine et les officiers datent de Tawistok l'état de répartition des parts de prises
qu'ils envoient à l'armateur.
Courte histoire, on le voit, que celle de « la Sauterelle » et qui n'ajoute rien de bien mémorable aux annales des corsaires français.
Aussi bien, n'est-ce pas pour les menus détails de cette très banale histoire que M. Corre a voulu faire revivre « la Sauterelle ».
Ce n'a été pour lui qu'une occasion de nous faire pénétrer,
par un exemple, dans la vie d'un corsaire d'alors,
de nous dire l'organisation de la course, et cette restitution
d'un coin de la vie maritime du siècle passé,
il faut le remercier de l'avoir faite.
Ce n'était pas petite chose d'armer un navire pour la course.
On s'adressait à l'État, demandant son concours et pour la construction et pour l'armement.
« La Sauterelle » avait été construite sur la grève de Lanninon pour le compte de M. Clément,
négociant à Brest, « par un de ces vieux maîtres charpentiers chez lesquels se conservaient, dit M, Corre,
les vieilles traditions, hommes d'expérience et de pratique, mais non fermés aux progrès réellement démontrés,
soucieux de rivaliser de bonnes créations avec MM. les ingénieurs du roi, qui les ont depuis longtemps déjà évincés
des chantiers officiels ».
À l’armateur, l'arsenal a cédé des matériaux pour la mâture et le gréement, provenant d'anciens navires du roi,
et une partie des munitions, boulets ronds, boulets à deux têtes, coups de mitraille, poudre, gargousses, etc.
Les canons sont en fer : dix ont été achetés à La Rochelle, d'autres à Nantes, ou ont été obtenus de l'arsenal.
Le reste de l'armement se compose d'espingoles, de fusils (94 avec 18 baïonnettes), de 100 paires de pistolets,
de 120 haches d'armes, de 144 sabres, d'espontons, etc.
M. Corre, qui a eu en mains tous les comptes de construction, armement, réparations, ravitaillement du navire, en extrait d'intéressants détails, ceux-ci entre autres sur les salaires d'ouvriers à Brest, au milieu du dix-huitième siècle :
« Le pain valait en moyenne 2 sous la livre, la viande, 6.
Or, voici ce que gagnaient les ouvriers, d'après les états des déboursés de M. Clément, à Brest et à Saint-Malo :
Les salaires des charpentiers, perceurs, scieurs, sont de 28 et 30 sous ; il y a des journées à 15 et a 20 sous, mais il y en a aussi de 40 sous.
Les menuisiers sont payés à raison de 26, 28, 30 et 32 sous.
Les simples journaliers touchent 15 ou 20 sous, quelquefois 24
et même 30 sous.
M. Corre, qui a eu en mains tous les comptes de construction, armement, réparations, ravitaillement du navire, en extrait d'intéressants détails, ceux-ci entre autres sur les salaires d'ouvriers à Brest, au milieu du dix-huitième siècle :
« Le pain valait en moyenne 2 sous la livre, la viande, 6.
Or, voici ce que gagnaient les ouvriers, d'après les états des déboursés de M. Clément, à Brest et à Saint-Malo :
Les salaires des charpentiers, perceurs, scieurs, sont de 28 et 30 sous ; il y a des journées à 15 et a 20 sous,
mais il y en a aussi de 40 sous.
Les menuisiers sont payés à raison de 26, 28, 30 et 32 sous.
Les simples journaliers touchent 15 ou 20 sous, quelquefois 24 et même 30 sous.
Les salaires ont augmenté de nos jours proportionnellement à l'accroissement des prix des denrées ;
toutefois, ajoute M. Corre, il ne me serait pas difficile de démontrer que les premiers ont monté bien au-delà des seconds. »
« La Sauterelle » est montée par 16 officiers, 27 officiers-mariniers, un peu plus de 100 matelots pour la manœuvre,
8 novices, 10 mousses, 8 volontaires et 8 soldats.
Le recrutement d'un tel équipage ne se fait pas sans peine.
L'armateur envoie dans les ports des agents qui s'efforcent de faire signer des engagements en prodiguant
les paroles dorées, les bouteilles à boire, au besoin déjeuners et dîners, et quand le marin a cédé à la tentation,
on se rend devant le notaire, qui dresse contrat.
M. Corre reproduit un de ces contrats d'engagement dressé à Saint-Malo le 26 octobre 1756,
« pièce curieuse, dit-il, où se découvrent les précautions habiles de l'armateur pour obtenir beaucoup des marins
avec la réservation des plus amples avantages en faveur de la société ».
Médecin, M. Corre ne pouvait ne pas songer à l'hygiène à bord du corsaire.
Elle ne lui semble avoir été ni meilleure ni plus mauvaise qu'à bord d'un bâtiment de guerre.
Pour boisson, du cidre et du vin ;
les vivres sont variés, renouvelés aussi fréquemment que possible, et quant aux soins à donner aux malades,
il ne paraît pas que l'armateur ait lésiné.
Les coups de garcette ont dû contribuer largement au maintien de la discipline ;
dans un mémoire que M. Corre a découvert, on lit : « pour 37 douzaines de garcettes, 17 liv. »
Disons, en terminant, que l'armateur de « la Sauterelle » et ses associés, parmi lesquels se trouvaient M. Hocquart, intendant de la marine à Brest, et des négociants de Bordeaux et de la Rochelle, ne s'enrichirent pas
avec leur entreprise.
Les comptes des deux courses que fit » la Sauterelle » se soldent par des pertes pour l'armateur,
la première de 77 517 liv. 3 sous, seconde de 63 862 liv. 1 sou 11 deniers.