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Fenêtres sur le passé
1896
Les Fontaines miraculeuses de Yves Berthou
par Alexandre Verchin
Source : La Dépêche de Brest 13 juillet 1896
Je viens de lire le dernier ouvrage d'Yves Berthou, les Fontaines miraculeuses, et je reste encore sous la sensation du charme pénétrant et étrange où la lecture de ces vers m'a laissé.
Yves Berthou est Breton de Basse-Bretagne et a gardé du sol natal, dans l'exil auquel les nécessités de la vie l'ont condamné— il habite Rochefort — une impression profonde que l'éloignement n'a pu modifier ;
cet exil même, dans sa tristesse, n'a fait qu'affiner la mélancolie native qui constitue le fond de son caractère,
le mysticisme, outré peut-être, qui est la dominante de son tempérament.
Comme il l'aime, la Bretagne !
Comme il la chante avec cette tendresse de l'amant pensant à l'absente, avec même, et plutôt, cette vénération tant intime et si douce de l'enfant parlant à l'aïeule :
Grand'mère aux cheveux blancs, Bretagne, ô toi si vieille,
Et si jeune pourtant ! Je suis ton bienvoulu.
Oh ! que ta voix toujours est douce à mon oreille,
Breiz-Izel, c'est de toi que viendra le salut.
…
Ton jardin merveilleux pourrait nourrir le monde,
Comme Hella a nourri les âmes du passé.
Et le poète développe son rêve si fier de régénération par la vieille race dont il est issu.
Le Grand-druide Yves Berthou (Kaledvoulc’h).
Carte postale adressée par Berthou à Francis Even, barde Karevro, vers 1910.
Centre de recherche bretonne et celtique-UBO-Brest, fonds Yves Berthou.
Mais, hélas ! le rêve, l'espoir, malgré les consolations qu'ils procurent, ne suffisent pas à cicatriser les blessures trop cuisantes et trop nombreuses que la vie fait au cœur de l'homme.
Yves Berthou a souffert plus qu'un autre, peut-être, parce que, plus que tout autre, il s'est cantonné dans l'idéal ;
c'est un rêveur et un croyant.
Or je ne sais rien de plus cruel que le réveil brutal interrompant un doux songe, rien de plus désespérant qu'un doute qui nait dans un moment d'écœurement, de triste comme une croyance qui s en vat, et, comme tout le monde, n’est pas poète, vous avez eu des réveils et vous avez assisté à l'effondrement de quelques croyances, à l'envolement de beaucoup d'illusions ?
La vie est laide et rend les convives mauvais,
Poète, et ne vaut pas la peine qu'on la vive.
Oh ! la vie écœurante en ses banquets barbares,
D'où l'on a chassé la candeur et la beauté.
O flambeaux de mes yeux, brillants de loyauté,
Votre clarté pâlit et meurt devant les tares.
Et plus loin :
O France, je t'ai vue, ainsi que ces femelles
Qui laissent leurs petits sur les routes, épars.
Nous demandons encore du sang à tes mamelles,
Mais ton sein se tarit, ô marâtre des arts.
J'avoue que j'aime moins cette note que la première ;
je préfère le barde qui célèbre sa terre natale dans un magnifique élan d'amour, dans un cri de foi et presque d'orgueil en son avenir et sa destinée, et ce Berthou-là donne à l'autre un superbe démenti.
Lisez ces vers ; la lecture en est saine ;
et si, parfois, vous ressentez une impression douloureuse, c'est que le poète a souffert, qu'il est apaisant de confier
sa douleur et de la voir partagée.
L'auteur, du reste, se chargera lui-même de vous faire oublier ce court instant d'amerture, et vous fermerez le livre consolé et ravi.