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Fenêtres sur le passé

1899

Nos braves sauveteurs

Source : La Dépêche de Brest mai 1899

 

Nos braves sauveteurs

 

Auteur : Théophile Janvrais.

 

Théophile Janvrais est le pseudonyme de Pierre Ambroise Théophile Pélicot,

également connu sous le pseudonyme de René d’Ys.

Né à Montours le 20 novembre 1865.

Décédé à Pléneuf avant 1949.

Entre 1885 et 1889, il est instituteur à Bruz.

En 1895, il est domicilié à Plénée-Jugon.

En 1902, il publie Nos marins-pêcheurs : leur alcoolisme ;

les abris du marin, Paris, A. Challamel, 24 p.

Répertorié comme homme de lettre à Rostrenen en 1905.

O dans nos jours sombres de détresse morale,

Soyez bénis — héros de la cause idéale,

Sauveteurs ! Un honneur du moins nous est resté,

Marins, c’est votre honneur, c'est votre humanité,

 

vient d'écrire le poète Jean Aicard, dans son beau poème « Les Sauveteurs », que M. Mounet-Sully a récité hier 7 mai à l'assemblée générale

de la Société centrale de Sauvetage des naufragés.

 

Et, en effet, dans notre temps d'angoisse et défaillance quasi nationales,

pour rehausser surtout un pessimisme gangreneux qui n'a rien de « gaulois »,

il nous paraît utile de nous attarder au récit des humbles

mais sublimes sauvetages quotidiens des marins de notre littoral,

de ces braves gens pour qui l'héroïsme et le dévouement sont

non seulement un devoir, mais un besoin.

Jean Aicard (450 x 676).jpg

Jean François Victor Aicard,

Né le 4 février 1848 à Toulon

Mort le 13 mai 1921 à Paris,

Poète, romancier

Dramaturge français

Car les actions si belles, dans leur simplicité fruste des choses de mer de tous ces sauveteurs,

ne peuvent que retremper fortement notre suprême idéal vers tout ce qu’il y a de beau,

de grand et de vraiment humain.

 

N'est-ce pas là encore une impression suffisamment salutaire et bienfaisante...

Nous n'avons que l'embarras du choix, et les faits parlent d'eux-mêmes.

 

Mais la Bretagne suffira amplement à notre moisson.

 

Toute la journée du 4 février dernier et la nuit suivante nous sommes à Audierne.

 

La tempête redouble de violence.

 

Le canot de sauvetage Amiral Rose avait pris la mer, avec le patron Autret,

pour se tenir prêt à porter secours aux bateaux de pêche du port qui n'avaient pu rentrer.

 

Vers deux heures du matin, il secourut une première barque et ramena sains et saufs six hommes à terre,

puis revint porter secours à cinq autres chaloupes dont les équipages,

transis de froid, exténués de fatigue et à bout de provisions, ne pouvaient plus résister.

 

Guidées aussi par le brave René Autret, trois autres barques réussissent à forcer la barque sans encontres.

 

Au moment où la quatrième allait passer, elle fut chargée par un énorme paquet de mer qui lui enleva un homme.

L'amiral Rose vola à son secours au milieu des brisants et le sauva.

 

Autret sauva aussi l'équipage et le bateau de pêcheurs du Guilvinec.

 

Avec ses canotiers, il venait donc d'arracher quinze hommes à une mort certaine.

 

C'est pourquoi la Société centrale de Sauvetage décerne les médailles Jacquemart, de Joest, de Beauregard et Cloquet au sous-patron Friand et aux marins Hervé Couillandre, Guillaume Le Bars et Clet Couillandre,

alors que le 3e prix du baron de Joest à l'équipage du canot de sauvetage de la station et

à son vaillant patron Autret, qui ne compta pas moins de quinze autres récompenses pour de périlleux sauvetages.

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À Saint-Guénolé-Penmarc'h, dans la nuit du 25 avril 1898,

s'est passé un sauvetage presque analogue,

s'il n'est pas encore plus audacieux, car tout est beau

dans ces récits de lutte où les marins de la côte

Viennent dans ton danger te crier de le fuir

Et sauveront ta vie au risque d'en mourir.

 

Le patron du canot de sauvetage Maman Poydenot

part aussi en mer, malgré la tempête, car il est inquiet sur le sort de nombreuses barques qui sont en pêche.

Il aperçoit un premier bateau en danger dans l'un des étroits chenaux de l'île Norma.

 

Il va à son secours et le fait franchir la passe.

 

Le patron Auffret reprend le large, met le cap sur un second qui est sur les brisants, au chenal de Grenouilly,

et gouverne à peine ;

il l'escorte encore et le sauve.

 

À ce moment des signaux de terre indiquent aux courageux sauveteurs

que des embarcations sont en détresse vers le nord.

 

Pour la troisième fois, le canot de la station franchit la passe, secourt une barque désemparée,

recueille ses cinq marins et n'a que le temps de les déposer à terre pour venir au secours d'une quatrième barque

en péril, et dont les huit hommes sont encore sauvés et conduits sains et saufs à terre.

 

Au total : quatre bateaux et vingt-cinq marins-pêcheurs sauvés par nos braves canotiers de Saint Guénolé,

qui tinrent la mer pendant sept longues heures de tempête.

 

Et quel ne fut pas le bonheur des sauveteurs et des sauvés en trouvant à terre Mme Auffret,

qui, après s'être mise dans l'eau jusqu'aux épaules pour aider au lancement du canot,

avait tout préparé pour réconforter les malheureux marins mouillés et transis de froid !

Auffret, qui se déshabillait pour prendre un bain à quelque distance de là

entendit les cris poussés par son camarade ;

il accourut à moitié vêtu, disparut à son tour et ramena au rivage le jeune Budoc à moitié asphyxié.

 

« Louis est un brave garçon, dit la mère, dès qu'elle sut l'action ;

mais je n'aurais jamais cru qu'il avait autant de sang-froid ! »

 

Mots simples et grands dans la bouche d'une Bretonne...

 

Et comme le prix Gabriel Lemaire est décerné au jeune sauveteur de Saint-Guénolé,

son père a promis le faire photographier à Paris avec sa médaille.

 

Puisque nous en sommes aux héros de l'enfance, rappelons le bel acte de dévouement qui vaut à son auteur

le 2e prix Gabriel Lemaire.

 

C'était le 5 juin 1898, vers cinq heures du soir, à Quiberon.

 

Un enfant de huit ans, Kerserho, se trouvait dans un canot à Port-Maria,

quand il tomba à la mer et coula à pic par un fond de cinq mètres.

Le port était encombré d'embarcations, et il était à craindre que la personne qui se dévouerait pour le sauver

ne s'engageât sous l'une d'entre elles et ne se noyât avec lui ;

aussi personne ne s'empressait au sauvetage, lorsque le mousse Gallène arrive.

 

Ce pauvre jeune marin n'est pas très robuste, et il a tout lieu de se défier de la grande bleue,

car son père s'est noyé dans un sauvetage et son frère aîné s'est tué en tombant d'une mâture.

 

De plus, il est chef de famille et il n'a que quatorze ans !

 

Cependant ce héros n'hésite pas, quand il apprend ce qui vient de se passer, car il plonge tout habillé à l'endroit

où Kerserho avait disparu, et, quelques minutes plus tard, il ramenait à terre sain et sauf le petit naufragé.

 

Bravo au jeune sauveteur de Quiberon !

 

Le prix Tourville lui vaudra les applaudissements de tous.

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Louis Auffret

Ces braves avaient bien gagné le prix amiral Méguet,

et Auffret la médaille comtesse Foucher, qui leurs ont été décernés hier à Paris.

 

Mais nous n'en avons pas fini avec le nom d'Auffret ;

car dans cette famille le dévouement est héréditaire.

 

Vous venez d'apprécier la bravoure du père, la charité

et le dévouement de la mère.

 

La conduite du fils est du pur atavisme.

 

Louis Auffret n'a que onze ans et demi, et déjà il a sauvé un de ses camarades, le jeune Budoc, âgé de huit ans, qui, se baignant sans savoir nager,

venait de disparaître sous l'eau.

 

Or, les marins ne sont pas toujours les seuls héros des nombreux sauvetages accomplis chaque année sur nos côtes, et les douaniers rivalisent bien souvent d'héroïsme avec eux.

 

Nous n'en voulons pour preuve que ce qui s’est passé à l'Île aux-Moutons (Iles Glénans) le 8 août dernier.

 

Surprise par un affreux coup de vent, la barque de pêche Mère-de-Dieu vint y mouiller et faire des signaux désespérés au gardien du phare Colin, dont la bravoure est bien connue.

 

En vain, les ouvriers du balisage dont la chaloupe venait d'être jetée à la côte essaient de détourner Colin

d'une entreprise aussi téméraire :

 

« Je passerai par-dessus ou par-dessous, répond ce brave ;

mais il faut que je fasse mon possible pour sauver ces malheureux. »

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Le prix du commissaire Adelon Cousin est décerné,

cette année, à la station d'Étel et à son vaillant patron Péné, pour le sauvetage du Saint-Joseph

et de ses six hommes d'équipage.

 

Et le patron Jégon, de la station de Kérity - Penmarc'h

reçoit le prix amiral Lalande, pour avoir sauvé,

avec le canot la Biche, ses sept hommes et son mousse.

 

Le Maman Poydenot

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La rentrée du canot Maman Poydenot

Et avec son gendre Gayat, tous deux bons nageurs d'ailleurs,

ces deux gardiens sautent dans leur canot et piquent au large.

 

Ils font trois voyages successifs.

 

Colin est blessé à la main et à la jambe, mais ils sauvent

quand même les huit hommes de la chaloupe en détresse.

 

C'est pour ce bel acte de dévouement que le prix Echallié

est décerné à ces modestes héros, que le gouvernement

vient aussi de récompenser avec une médaille d'honneur.

 

Honneur à ces vaillants sauveteurs bretons !

La Bretagne est couverte de ces postes périlleux où la mer manifeste le plus souvent ses terribles colères, l'épouvante des naufrages ;

ses braves et courageux canotiers des stations en sont les véritables  « gendarmes de naufrages ».

 

Félicitons donc hautement ces gens de mer, à la fois si grands et si modestes,

que nos sincères braves doublent encore leur joie de recevoir aujourd'hui les médailles si enviées

que la Société centrale de Sauvetage des naufragés accroche sur leurs vaillantes poitrines de héros du devoir.

 

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En terminant ces lignes, je ne puis empêcher la pensée qui naît.

 

Quand, dans les jours d'hiver ou de tempête, nous entendons le vent rugir et la mer secouer la côte

d’un bruit lugubre nous pensons, naturellement, aux malheureux qui voguent au gré des océans.

 

Certes, il est consolant de songer que des veilleurs vigilants guettent le moment d’embarquer à l'appel de la vie,

à l'appel de la mer, et qui partent au secours, les doigts crispés sur l'aviron.

 

Mais si on peut tout attendre de tels hommes, parfois leur courage et leur dévouement ne suffisent pas,

car il y a toujours un coin de côte qui n'a pas encore son canot de sauvetage,

une rive dangereuse où nos sauveteurs n'ont pas le moyen d'exercer leur sublime altruisme

et d'arracher à la mer ses  victimes.

 

C'est pourquoi la Société centrale de Sauvetage des naufragés fait, en ce moment et toujours,

appel à la générosité de tous.

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Photo Jean Pierre Clochon.

Un équipement de sauvetage bien discret :

"la ligne Brunel"

Son œuvre est immense, et cependant ce n'est pas encore assez :

les sinistres mêmes de cet hiver en sont l'irrémédiable preuve.

 

Il y a trente-trois ans que cette grande société d'humanité maritime existe, et elle a pu établir 90 stations de canots

— chacune coûtant 30,000 francs, plus 1200 francs d'entretien annuel — et 500 postes de poste-amarres et de secours,

munis de canons et de lignes Brunel.

C'est avec cet important matériel et les braves marins et douaniers,

qui en sont l'âme, qu'elle a pu sauver plus de 11,000 personnes

et 1,040 navires.

 

Mais elle dépense aussi plus de cinq millions, dont la moitié a été donnée en indemnités

et en récompenses aux sauveteurs.

 

Je trouve même qu'on est encore trop avare, pour eux de celles-ci...

 

Gens de cœur, pensez aux naufragés ;

vous donnerez alors pour ceux qui risquent cent fois leur vie pour les arracher à la mort et aux flots déchaînés !...

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