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Fenêtres sur le passé
1904
Molène meurt de faim


Source : L’Actualité – Le bon citoyen de Tarare et du Rhône 27 mars 1904
Tendant que vos yeux, chers lecteurs, sont tournés vers le Conflit Russo-Japonais, en France à quelques milles
de l’extrémité des côtes du Finistère, dans l’île Molène, de braves pécheurs meurent de faim.
L’île Molène, située au milieu des récifs qui forment pour ainsi dire un rempart aux côtes bretonnes a une superficie de 60 hectares et est habitée par 610 personnes.
La pêche est habituellement le seul gagne-pain de toute cette population ;
elle se livre principalement à la pêche du homard et de la langouste ;
à côté de cette pêche, du poisson est également pris, séché et salé pour la provision d’hiver ;
mais, cette année, les tempêtes furent telles que la pêche fut à peu près nulle ;
et la provision de poisson salé n’existe pour ainsi dire pas.

Une partie de terrain de l’île est cultivé par les femmes des pêcheurs ;
la récolte de la pomme de terre et un peu d’orge forment toute la moisson ;
les pommes de terre et l’orge sont également conservées pour l’hiver.
Quelques vaches s’y nourrissent tant bien que mal et le plus souvent d’herbes marines.
Les chevaux y sont inconnus.
Tous les transports se font à dos d’homme.

En dehors de la pêche et de la culture des pommes de terre, les femmes se livrent à la récolte du goémon,
que les tempêtes arrachent du fond de la mer et rejettent sur la côte ;
ces plantes sont mises en tas ; et, lorsque les beaux jours viennent, elles sont séchées et brûlées ;
leurs cendres sont vendues pour faire de la soude, de l’iode, etc., dans les usines des côtes voisines ;
l’île en fournit une moyenne de 180 tonnes à 200 tonnes tous les ans, et chaque tonne est payée de 120 à 180 francs, suivant la qualité.
C’est encore la meilleure ressource du pays, pour faire de l’argent.
Cette année, la récolte se présentait dans de bonnes conditions, on escomptait une production de 250 tonnes à 300 qui allait tirer les habitants de la misère dans laquelle ils étaient plongés par l’année mauvaise,
ils prenaient à crédit dans les localités voisines.

Et, dans une seule nuit, sans que personne s’y attendît,
un raz de marée survint et enleva tout ce qu’il trouva sur son passage :
La récolte entière disparut, les parties cultivées furent envahies par la mer, la terre fertile fut emportée et remplacée en certaines parties par de gros galets ;
les parties rocheuses furent principalement atteintes ;
et des blocs de plusieurs milliers de kilos furent transportés assez loin ;
les braves pêcheurs étaient dès lors plongés dans la plus affreuse des misères, réduits à la famine et leur gagne-pain avait disparu.

Pour achever son œuvre, la mer continua d’entourer l’île d’une tempête telle que le bateau postal qui approvisionne l’île de pain et de viande en temps normal ne put en apporter pendant de longs jours.
Le Maire, M. Mao, fit distribuer les derniers produits des épiceries ;
mais cela ne suffisait point à calmer la faim de tous ces malheureux ;
et, la tempête ne cessant pas, le maire se décida, le cœur gros, à signaler aux autorités la profonde misère dans laquelle se trouvaient ses administrés.
Les autorités s’émurent ; et, le lendemain, des vivres fournis par la marine partaient sur un remorqueur.


Enfin, ces pauvres gens étaient momentanément à l’abri de la famine ;
mais ils demeurent toujours à la merci d’un nouveau raz de marée.
Et ils méritent bien que toutes les personnes charitables leur viennent en aide ;
car ils se sont toujours signalés par des sauvetages.
Espérons que la tempête et surtout les raz de marée les épargneront ;
et, quand ils seront malheureux, ne les oublions pas.

