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Fenêtres sur le passé

1906

Brest qui s'en va

La Chapelle de la Marine

Source : La Dépêche de Brest juin 1906

 

Auteur De Lorme

Professeur honoraire

 

Brest qui s'en va. La chapelle de la Marine

 

La ville de Brest ne possède plus de monuments civils ou religieux antérieurs au règne de Louis XIV.

 

Son antique château peut seul encore nous parler du moyen-âge, de la Renaissance

et des lointaines histoires d’Azénor, de Clisson et de Sourdéac.

 

Quant aux églises et aux vieilles maisons curieuses,

aucune n'existe encore de celles qui virent construire l'enceinte de Vauban.

 

La chapelle du Château, primitive paroisse du vieux Brest, a disparu ;

celles des Sept-Saints et de Recouvrance ont été détruites,

l’antique église de Saint-Yves a fait place à l'église des Carmes,

Saint-Louis est du XVIIe siècle, Saint-Sauveur du XVIIIe ;

la ruine pittoresque de la tour de la Motte-Tanguy, qui rappelait les remparts primitifs et les temps chevaleresques,

a été modifiée d'une façon que je m'abstiendrai de qualifier, ne voulant faire de la peine à personne.

 

Bientôt disparaîtront avec les remparts les portes qui les traversent, intéressants spécimens

d'une architecture militaire démodée dont les archéologues de l'avenir chercheront inutilement,

je le crains, une trace dans notre cité indifférente.

 

D'autres villes, en abattant leurs remparts, ont su transformer les plus importantes ou les plus remarquables

de leurs portes en arcs de triomphe; tels les arcs de triomphe de Nancy, de Lille, etc. ;

les portes Saint-Martin et Saint-Denis, à Paris, n'ont pas d'autre origine.

Sébastien François Bigot.jpg

Sébastien François Bigot

Enfin, d'ici peu, la pioche des démolisseurs aura nivelé

l'emplacement occupé par la chapelle de la marine.

 

C'est encore un ancien monument qui va disparaître ;

il a été mêlé intimement, dans les deux derniers siècles,

aux événements traversés par Brest ;

son histoire mérite d'être contée et son architecture

n'est pas sans intérêt dans une ville presque absolument dépourvue

de monuments dignes de ce nom.

 

On lui doit au moins un souvenir, et ces quelques lignes ont pour but

de l'arracher à l'oubli de nos contemporains.

 

En 1741, on voulut doter d’une chapelle le séminaire destiné à former

des aumôniers pour les besoins de la flotte, et on en confia l'exécution

au célèbre ingénieur Choquet de Lindu. (*)

(*) Antoine Choquet de Lindu,

Né le 7 novembre 1712 à Brest

Mort le 7 octobre 1790, à Brest

Ingénieur de la Marine et architecte français.

Celui-ci, trouvant le granit du pays trop dur pour l'exécution de la façade qu'il avait conçue et des voûtes qui devaient recouvrir l'église,

fit venir des Charentes une coûteuse et superbe pierre calcaire qui,

par sa couleur, la finesse de son grain et la facilité de sa taille,

lui permettait de réaliser son projet.

 

La première pierre de l'édifice fut solennellement posée par l'intendant

de la Marine royale Bigot de la Mothe, et, dès qu'il fut terminé,

en 1743, le ministre Maurepas lui fit présent d'une superbe

Assomption peinte par Boucher.

Malheureusement, ce chef-d'œuvre fut, lors de l'expulsion des jésuites, vendu et acheté, à vil prix, par un commissaire de marine peu connaisseur, qui, choqué des nudités de certains anges, le dépeça

et le barbouilla de la façon la plus lamentable.

 

Après le départ des jésuites, la chapelle du séminaire

fut attribuée aux troupes de la marine, pour lesquelles on y célébrait

les offices tous les dimanches.

 

La République arriva et les églises furent fermées.

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Jean-Frédéric_Phélypeaux_de_Maurepas.

Jean-Frédéric Phélypeaux

de Maurepas

La chapelle de la marine fut transformée en tribunal révolutionnaire.

 

La croix du sommet fut abattue, les armes royales martelées et remplacées par un cartouche,

sur lequel brillait cette inscription menaçante : « Ici siège la justice du peuple. »

 

Cette terrible légende s'y lisait encore en 1845, époque à laquelle on la fit complètement disparaître. 

C'est dans cette enceinte transformée que le redoutable tribunal rendait ses arrêts.

Nous ne nous arrêterons pas sur cette cruelle époque ;

mais, cependant, il est impossible de songer, sans être ému, à la magnifique comtesse de Forsanz, dont la beauté éclatante, l'esprit et la grâce faisaient l'admiration générale.

 

Elle avait commis le crime impardonnable de cacher chez elle l'abbé Mével, prêtre réfractaire.

 

Ni sa jeunesse, ni ses charmes, ni sa vertu, ne purent attendrir, des juges tremblant d'être accusés de tiédeur.

 

Elle périt sur l'échafaud et chose terrible, si l’on en croit les ennemis du juge Palis, son cadavre décapité dût,

avant d'être englouti dans la tombe, subir les plus odieuses profanations.

Le Directoire supprima le tribunal révolutionnaire et, de 1800 à 1814,

on le transforme en un magasin renfermant les vivres nécessaires au service de l'hôpital.

 

En 1814, le duc d'Angoulême, grand amiral France, vient en inspection à Brest.

 

Sur la demande des religieuses chargées du service l'hôpital de la marine et, sur le rapport favorable de M. Trouille (*), ingénieur-directeur des travaux maritimes, il attribua à cet hôpital, comme chapelle,

l'ancien tribunal révolutionnaire, redevenu une église.

 

(*) Jean-Nicolas Trouille,

Né le 1er avril 17521 à Versailles

Mort le 3 août 1825 (à 73 ans) à Brest

Architecte, ingénieur et homme politique français.

 

Elle fut restaurée complètement, et I ’on y plaça dans le chœur le beau groupe en marbre blanc que l'on y voit encore, groupe dû au sculpteur flamand Schiemakers.

 

Cette belle œuvre représente la Sainte Trinité, la Vierge et les anges délivrant les âmes du purgatoire.

 

Ce riche retable provient de la citadelle d’Anvers.

 

Il en avait été enlevé, ainsi que l’autel tout en marbre blanc qu'il décorait, par les soins de M Moras,

capitaine de vaisseau, commandant le vaisseau le César, du consentement du commandant de la forteresse,

du général commandant la division et du directeur général des fortifications de la place forte.

 

On avait ainsi transporté tout ce monument à l'hôpital maritime de Saint-Bernard,

desservi par des religieuses françaises.

 

Ce don leur avait été fait en reconnaissance des bons soins et du dévouement qu'elles avaient prodigués

aux marins de la flottille de l'Escaut.

 

À la paix, Anvers fut évacué par les Français et l'hôpital de Saint-Bernard abandonné par les religieuses

retournant dans leur pays.

 

On leur offrit, comme souvenir reconnaissant, le groupe et l'autel, qui furent dirigés sur la France.

 

Malheureusement, ces œuvres d'art furent déplacées avec précipitation par des hommes peu exercés,

ce dont elles se ressentirent.

 

Elles furent apportées à Brest sur le vaisseau l’Hector, commandé par le commandant Moras,

qui les remit aux religieuses de la Sagesse.

 

Celles-ci les firent placer dans la chapelle de la marine, où le retable est resté jusqu’à nos jours.

 

L'extérieur de la chapelle est de la plus grande simplicité,

les façades latérales destinées à être noyées dans l'ensemble des édifices, sont absolument sans architecture.

La façade principale se détache en avant-corps du reste de l'édifice, elle est une réminiscence de celle

du noviciat des Jésuites, rue du Pot-de-Fer, à Paris.

 

Elle est entièrement, construite sur la belle pierre blanche d'un granit fin et de fort appareil dont nous avons parlé plus haut, sauf le socle et le perron édifiés avec le granit gris du pays.

 

L'exécution en est parfaite au point de vue de la construction et de la finesse des moulures.

 

Elle consiste en deux ordres superposés, couronnés par un fronton.

 

L'ordre inférieur est dorique.

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Noviciat des Jésuites, rue du Pot-de-Fer, à Paris.

Au centre est percée la porte principale, de chaque côté de laquelle font saillie deux pilastres doriques,

symétriquement placés, qui supportent un entablement complet du même style à corniche saillante,

dont l'attique sert de base au premier étage.

 

Celui-ci est constitué par un ordre ionique, élégant et élancé, dont les quatre pilastres surmontent immédiatement

les pilastres inférieurs ;

les chapiteaux de ces pilastres sont remarquablement sculptés, et l'entablement qui les couronne provient

des mêmes habiles ouvriers.

 

Au centre est une niche à fond plat, couronnée par un arc circulaire et bordée de deux pilastres plats.

 

Dans le fond s'ouvre une baie cintrée, encadrée d'une triple moulure et surmontée d'un cartouche

dont l'inscription a disparu.

 

Cette partie plane se raccorde à l'arc de face par une arrière voussure très élégante, dont le voussoir central,

formant clef fleuronnée, est d'une grande finesse d'exécution et de style.

 

On y reconnaît facilement l'œuvre d'un maître expert dans la science de la coupe des pierres.

 

Cet ensemble se couronne par un fronton triangulaire de même style, mais très simple, surmonté de la croix.

 

Le cartouche ouvré et les emblèmes sculptés qui remplissaient le tympan ont été martelés et détruits.

 

L'intérieur de la chapelle forme un vaisseau d'une architecture à la fois simple et agréable, d'harmonieuses proportions.

 

Il mesure 33m 40 de long sur 13m 24 de large, dont la nef centrale avec les bas-côtés occupe les 5/7e de la superficie.

Cette nef est entièrement voûtée en pierres de taille : dans le berceau central pénètrent de chaque côté cinq berceaux cylindriques secondaires, également en pierres de taille, surmontant les cinq arcades qui bordent les bas-côtés.

 

Les arcades formaient à l'origine dix chapelles particulières, depuis longtemps supprimées.

 

Il y a là une pénétration de voûtes de toute beauté, constituant un remarquable travail de coupe de pierres,

qui révèle chez son auteur un talent de premier ordre.

 

Cette nef, ainsi couverte, à l'abri de l'incendie, mesure 9m de longueur sur 14m 45 de hauteur sous clef de voûte ; cette voûte est en plein centre et prend naissance sur des piliers ioniques.

 

À l'extrémité est un rond-point également voûté en pierres de taille.

 

Il est percé de trois arcades semblables à celles des collatéraux, comme elles d'ordre ionique,

aux élégants chapiteaux finement sculptés.

 

Il est totalement rempli par le sanctuaire, au centre duquel est l'autel.

 

Derrière, est le chœur.

 

Dans l'arcade centrale est placé le superbe retable, dont nous avons déjà parlé.

 

En voici la description.

 

Des flammes du purgatoire s'échappent des âmes délivrées par la miséricorde divine.

 

Au-dessus, dans une nuée, se tient Jésus enfant, tenant la croix

et porté sur le globe terrestre.

 

À côté est agenouillée la Vierge Marie, suppliante.

 

Plus haut, dans le ciel, s’épanouit une gloire rayonnante où plane le Saint-Esprit.

 

À droite et à gauche des nuées partent des angelots et des séraphins

jouant de la trompette.

 

Enfin, tout au haut, dominant la composition, l'Éternel, soutenu par des anges,

s'élève sur une nuée, en bénissant.

 

Au niveau de l'entablement et de plain-pied avec le premier étage

d'une des ailes de l'ancien séminaire, sont des tribunes qu'occupait jadis

dans les cérémonies la musique des équipages de la flotte.

 

Les tribunes des bas-côtés servaient alors aux malades de l'hôpital Saint-Louis, remplaçant le séminaire.

 

Une dernière tribune, placée au-dessus du porche de la chapelle, dans toute sa largeur, était réservée aux invités.

 

Elle contenait 80 personnes.

 

Les autres tribunes, la nef, les bas-côtés et le sanctuaire réunis pouvaient

en contenir 1,200.

 

Il est peut-être fâcheux qu'en fermant cet édifice au culte,

on n'ait pas songé à l'utiliser comme bibliothèque ou musée.

 

Son caractère, étant donné son style, n'est qu'à moitié religieux.

Les belles voûtes dont il est recouvert et dans lesquelles il n'entre aucun élément combustible, permettraient d'y mettre en toute sécurité des collections précieuses

ou difficiles à remplacer.

 

Que l'on songe, en effet, combien l'incendie les détruirait facilement

dans une construction à moitié en charpente, et dont les combles en bois flamberaient comme une allumette au milieu de tant de matériaux inflammables, livres ou peintures.

 

Quoi qu'il en soit, on ne peut visiter une dernière fois cette église sans songer

à tous les glorieux souvenirs maritimes qu'elle invoque.

 

Sous ses voûtes vinrent s'incliner les d'Estaing, les d'Orvilliers, les La Motte-Piquet,

prêts à porter sur toutes les mers leurs pavillons victorieux.

Il y parût aussi avec son équipage, l’héroïque du Couëdic se disposant à vaincre et à périr.

 

Et combien d’autres y vinrent ensuite, dignes de leurs aînés, marin du Roy,

de l’Empire et de la République, portant au fond du cœur, eux aussi,

le triple culte de la gloire, de l’honneur et de la patrie.

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Toussaint-Guillaume

Picquet de La Motte,

dit La Motte-Picquet,

Né le 1er novembre 1720 à Rennes

Mort le 10 juin 1791 à Brest

Officier de marine français du XVIIIe

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Louis Guillouet, comte d'Orvilliers,

Né à Moulins le 26 mars 1710

Mmort en 1792 à Moulins,

Officier de marine et aristocrate français du XVIIIe siècle.

À la bataille d'Ouessant

en juillet 1778,

il défait la flotte britannique

de l'amiral Keppel.

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Jean Baptiste Charles Henri Hector, comte d'Estaing,

Né au château de Ravel (Puy-de-Dôme) le 24 novembre 1729

Mort guillotiné à Paris

le 28 avril 1794,

Aristocrate et militaire français.

Amiral de France.

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