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Fenêtres sur le passé
1924
Raz de marée sur la côte atlantique
Source : La dépêche de Brest du 10 janvier 1924
Penmarc’h
La voix qui, au téléphone, nous faisait parvenir, ce matin, la tragique nouvelle, était toute tremblante d'émotion :
un raz de marée, qui a détruit une partie la flottille de pêche et a causé des dégâts considérables, s'est produit,
cette nuit, à Saint-Guénolé-Penmarc'h.
Cette voix, issue du point le plus menacé par le cataclysme, avait, pour nous, l'attraction d'un appel de secours.
Nous comprimes mieux combien cette impression était justifiée lorsque, dans les premières heures de l'après-midi, nous accédions à la bordure de cette vaste plaine, dominée par les tours des églises de Penmarc'h
et de Saint-Guénolé.
Là-bas, en effet, sur la côte que surplombent Eckmühl et le vieux phare, la mer se dressait furieuse,
semblant vouloir tout engloutir, et nous nous étonnions de constater que ces vagues,
qui se haussaient comme des collines à l'horizon, n'avaient pas englouti ce terrain sur lequel nous roulions
et dont le niveau nous apparaissait si nettement inférieur.
À Penmarc’h, l'émotion paraît vive.
Tout au long de la route, des groupes échangent avec animation des propos dont nous devinons fort bien le sens.
Voici Saint-Guénolé.
Dès la première, rue, à l'approche du restaurant Moguerou,
il nous faut rouler dans l'eau jusqu'au-dessus des moyeux.
Au pied de la haute façade d'une usine, il nous faut arrêter.
Des barques défoncées, tordues, broyées forment une barricade.
Elles ont été jetées là en pleine rue comme fétus, s'écrasant pêle-mêle sur les murailles après avoir roulé de roc en roc.
Les ruelles, même, sont défoncées, ravinées, bouleversées tout au long du chemin, que le sable a recouvert.
Des blocs de roches, des galets, se mêlent aux moellons des murailles effondrées.
Ici déchiquetés, gisent, dans la boue, de fins filets bleus, qui constituaient
la plus gracieuse parure des barques détruites.
Là, ce sont des mâtures sortant encore de leur voile brune.
Le malheur est grand, en effet.
Le premier coup d'œil a suffi pour nous convaincre.
Certes, il ventait dur hier soir, et la mer était houleuse.
Mais à Penmarc'h, on en avait vu bien d'autres et rien ne pouvait laisser présager le malheur
qui allait s'abattre sur le pays.
À minuit encore, il faisait un temps normal lorsque les douaniers quittaient le service pour regagner leur logis.
Brusquement, vers 3 heures du matin, des vagues formidables
se lançaient à l'assaut du bourg avec un fracas assourdissant.
Bientôt, ayant tout submergé, elles déferlaient jusque dans
les maisons, et les plus pénibles scènes se déroulaient de tous côtés.
Une haute cabane, couverte d'ardoises, scellée à quelque distance
de la côte, était arrachée et se trouvait emportée par le flot
à une vitesse vertigineuse à plusieurs centaines de mètres,
allant s'écraser sur la devanture d'une boutique.
D'autres constructions en planches étaient réduites en miettes.
Des rochers de cinq à six mille kilos étaient roulés à une cinquantaine de mètres, sous l'impulsion fantastique du flot.
Le douanier Camener, qui avait quitté le service à minuit, dormait profondément, au premier étage de la maison
qu'il occupe avec, sa famille, lorsque les cris die terreur de ses deux enfants, couchés au rez-de-chaussée,
le réveillèrent en hâte.
Il descendit, et put constater que, la mer ayant envahi son immeuble,
le lit où reposaient les petits flottait à travers la pièce.
Il dut, pour les secourir, entrer dans l'eau jusqu'à la poitrine.
À la pointe extrême de Saint-Guénolé, le bureau des douanes, comme les autres immeubles, avait été envahi.
Tout près habitent deux beaux-frères, les pêcheurs Drézen et Kerfriden.
Eux aussi, comme la plupart des habitants du pays, avaient été réveillés par la violence des éléments.
Les vagues heurtaient leur poste avec une fureur
qui semblait croître.
Ils résolurent d'organiser la résistance en épontillant
toutes les ouvertures.
Depuis plus de deux heures, ils s'épuisaient en efforts,
lorsqu'une énorme pierre, arrachée à la grève, vint défoncer la porte.
Blessés tous deux à la tête et à la jambe, ils durent battre en retraite et furent même contraints de s'aliter au premier étage, tandis
que les vagues abattaient au rez-de-chaussée cloisons et meubles.
À l'usine Griffon, où Mme Pochic habite avec ses trois jeunes enfants une maisonnette,
la mer déferlait avec la même violence jusque par-dessus le toit.
Elle voulut fuir, mais s'aperçut alors avec effroi qu'elle était bloquée
et qu'au-dessous d'elle le saloir était en partie détruit.
Allait-elle disparaître avec ses enfants, qui, affolés, -poussaient des appels déchirants ?
Toute la nuit, elle fut contrainte de demeurer dans cette effroyable situation.
On ne put lui porter secours qu'au matin.
Et de tous côtés, les flots accouraient menaçants, provoquant de nouveaux dégâts, accentuant la destruction.
Chez le boulanger, les pétrins surnageaient ;
chez l'épicier, toutes les denrées étaient submergées; dans les usines, les saloirs étaient envahis.
Près de la Chapelle de la Joie, des villages entiers étaient immergés.
Au Guilvinec et à Kérity, les digues de protection cédaient sous l'effort du flot,
qui poursuivait ensuite sa marche destructive.
À Léchiagat, ou les maisons étaient, également inondées,
une famille de pêcheurs faillit disparaître.
Le cataclysme, on le voit, s'était étendu fort loin.
La pleine mer se faisant sentir jusqu'à cinq heures trente,
le danger ne cessa de croître jusqu'à ce moment.
Deux heures après seulement, on put constater une légère accalmie.
Après cette effroyable nuit, on s'est efforcé, dans chaque immeuble, de rétablir quelque peu l'ordre des choses.
Mais la tâche est rude, et bien des mois s'écouleront, avant que l'œuvre de restauration,
courageusement et immédiatement entreprise, soit terminée.
Les dégâts, il est à présent impossible de les évaluer.
On estime à 80 le nombre des barques démolies.
Plusieurs d'entre elles ont été projetées jusque dans les champs, à deux ou trois cents mètres.
Des immeubles sont en partie détruits : casiers, poulaillers, clapiers ont disparu.
M. Desmars, préfet du Finistère, accompagné de MM. Genest, ingénieur en chef ;
Bronkhorst, directeur de l'inscription maritime ;
Pillet, administrateur du quartier de Guilvinec ;
Ruel, capitaine de gendarmerie, est venu apporter aux sinistrés des paroles d'encouragement
et les assurer de la sympathie du gouvernement.
Toute la population, unie par un sentiment de solidarité, s'emploie actuellement à mettre à l'abri des vagues,
qui manifestent encore- une redoutable violence, les barques que le raz de marée n'a pas trop atteintes.
Ch. LÉGER.
Ce matin, de 5 à 6 heures, à la pleine mer, de grosses lames ont envahi le Sillon de Camaret et les quais.
Les chantiers de construction qui se trouvent sur le Sillon ont particulièrement souffert.
Tous les bois de construction ont été emportés.
De gros bateaux en chantier ont été renversés.
Une, brèche de dix mètres a été ouverte dans le mur de protection du Sillon.
Les bateaux amarrés dans le port pour hiverner ont pour la plupart cassé leurs chaînes,
se faisant des avaries sérieuses.
Des embarcations ont été enlevées et drossées à la côte.
Le rez-de-chaussée de certaines maisons en bordure du quai
a été envahi par les eaux.
De mémoire de pêcheur, on n'avait pas via pareille mer
depuis 1896.
Les dégâts sont importants, mais on ne signale aucune victime.
La mer est démontée et les sémaphores ont signalé hier les S. 0. S. lancés par plusieurs grands navires, en détresse au large,
à 150 et 200 milles d'Ouessant.
Le remorqueur Le Puissant, de la station de sauvetage de Brest, s'est porté au secours du navire anglais City of Durham, désemparé par la perte de son hélice, à 130 milles d'Ouessant.
Le vapeur Tasmania a signalé se trouver en détresse
par 47.18 N. et 7.13 W.
Le vapeur grec, Eugénia a lancé un S.O.S. par 47.18 et 7.13W.
Dans les mêmes parages, le vapeur italien Coltano a demandé
des secours, qui lui ont été portés par le navire anglais Mora.
Il y a 28 ans, le 4 décembre 1896 Penmarc'h fut dévasté par un raz de marée.
Dans cette nuit du 4 au 5 décembre, où le baromètre tomba en dessous de 720 m/m.,
soixante bateaux coulèrent sur leurs corps-morts ;
tous les .autres furent brisés à la côte et leurs espars et débris défoncèrent la porte du sémaphore ;
la mer l'envahit jusqu'au premier étage et le guetteur et sa famille durent se réfugier dans les greniers.
L'eau couvrit la terre et inonda les maisons à trois kilomètres die la côte.
C'est dans cette tempête que le phare de la Vieille, qui s'élève en plein Raz-de-Sein,
à 33 mètres au-dessus de la haute mer, eut sa lanterne broyée par les coups de mer, qui le couvraient entièrement.