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Fenêtres sur le passé

1929

Images de Brest : Dancings
article 4 sur 8

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Source : La Dépêche de Brest 27 octobre 1929

 

La B. M.

Ces deux syllabes ne sont désormais secrètes pour aucun Brestois digne de ce nom.

Mais elles ont deux faces opposées, tel Janus :

L'une, bourgeoise, tournée vers le jour (les concerts si sympathiques),

l'autre, bohème, tournée vers la nuit (le dancing).

Clientèles toutes différentes.

Mais si la seconde hante indifféremment le rez-de-chaussée et l'étage, la première se cantonne prudemment au café.

 

La Brasserie de la Marine est illustre dans les annales brestoises.

Son souvenir se perd, je ne dis pas dans la nuit des temps, mais dans un passé lointain et nébuleux que Mac Orlan

se plut à évoquer dans ce style magique qui lui est propre.

S'il y a encore des petites alliées, elles n'ont plus la classe ni l'allure de leurs anciennes.

Les milieux de plaisir se sont adultérés depuis la guerre.            

L'orientation toute scientifique des générations modernes,

en tuant la culture, a défloré les dancings de ce panache intellectuel qui ajoutait tant à leur charme.

Il est rare, désormais, d'y rencontrer ces observateurs,

curieux surtout de la chose humaine, pour qui le spectacle

de la foule en joie est une source perpétuelle d'enseignements

et d'étonnements.

La débauche n'a plus cette allure littéraire qui l'ennoblit,

la spiritualise.

Il n'y a plus (ou presque) que des jeunes gens assez fats,

pressés d'arriver à leurs fins.

Tout est hâté, tout est gâché.

C'est de la mauvaise ouvrage.

 

Le dancing de la B. M. date de la fin de la guerre.

1919 : lendemain d'armistice, marqué d'une frénésie universelle, d'une course au plaisir aussi forcenée que la course à la mort

qui l'avait précédée.

Brest haletait sous les Américains, toute son activité décuplée.

C'étaient les beaux jours du port de commerce :

la grenouille se faisait bœuf.

Des gens malins faisaient fortune dans d'invraisemblables

arrière-boutiques, en vendant n'importe quoi

à n'importe quel prix.

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Dans chaque famille, il y avait une jeune fille fiancée à un « ingénieur » américain.

Les rues étaient pleines de policiers à matraques, de pétarades de side-cars et de sifflets impérieux.

On attendait le président Wilson, nouveau Messie d'une paix glorieuse et encore intégrale.

Pontanézen était la ville la plus peuplée de tout le Finistère.

 

La B. M. était pleine à craquer tous les soirs.

De cette époque, sans doute, datent les lézardes du plafond du café.

On refusait du monde.

Les boys kaki abordaient les danseuses avec ces deux mots prestigieux : « How much ? » (Combien?)

Certains amenaient des femmes, non pas Brestoises, mais venues d'on ne savait où,

attirées par le bruit des générosités américaines.

De tous les coins de la France, c'était une ruée vers l'or.

La chair à plaisirs affluait.

Brest : Paradis terrestre.

Et c'étaient des orgies, des débauches de champagnes

et de cognacs.

On s'enivrait, on se battait à l'occasion.

Des femmes sans scrupules profitaient de l'ivresse

de leurs compagnons pour les détrousser.

Les garçons-se trompaient volontiers dans leurs additions.

L'odeur du Virginian tobacco flottait victorieusement,

mêlée aux parfums entêtants dont ces Américains faisaient

une consommation outrageante.

Là-dedans partaient des jurons, des « Hello boy ! »,

des « hurrah ! », voire des coups de revolver.

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Diapason tumultueux que les cris hystériques des femmes saoules ou excitées exaspérait encore.

 

Mais que d'argent coulait !

Banknotes, images chiffonnées aux mains d'enfants turbulents.

Des gars qui allaient partir, démobilisés, persuadaient leurs cavalières de les accompagner là-bas,

de l'autre côté de la mare aux harengs, dans un pays neuf, pactolaire, « dont vraiment elles n'avaient pas idée »,

avec des rues larges comme ceci et des maisons hautes comme ça.

The greatest in the world.

 

Ces temps, déjà légendaires, sont bien révolus.

Il n'y a guère plus que des navigateurs étrangers en bombe à dépenser sans compter :

c'est-à-dire des 500, 1.000 ou 2.000 francs dans une soirée.

États-majors marchands qui font escale à Brest, après un mois ou deux mois de traversée.

Bonne aubaine pour le patron, les danseuses et les garçons !

Le menu fretin de tous les jours, ce sont des officiers de marine, des étudiants, quelques fils de famille.

Pour atteindre les fins de mois, ces jeunes gens sont obligés

de calculer et d'observer un petit régime :

un bock ou deux par soirée.

Ils grappillent une danse de ci de là.

 

Les « rupins » ou ceux qui ne frayent ces parages qu'une fois

par semaine ont des largesses de petits seigneurs.

Les habitués sont vite classés par catégories :

importance sociale, fortune, degré de générosité.

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Les demoiselles de l'établissement connaissent et se signalent les généreux :

« C'est un type au pèze » ou bien « Celui-là les lâche ».

Bonnes poires pour une soif chronique et qui ne trouve satiété que dans des cocktails.

 

(A suivre.)

L'Imagier.

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