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Fenêtres sur le passé
1936
La construction d'un nouveau quartier au Douric
Source : La Dépêche de Brest 27 décembre 1936
Actionnée un moteur Diesel, une pelle mécanique pénètre dans la masse de terre meuble, en désagrège un bloc qu’elle saisit dans ses puissantes mandibules, le soulève, pivote et laisse tomber sa charge dans les camions qui se succèdent et qu’elle emplit sans arrêt.
Dans le remblai, haut de deux mètres, qu’elle attaque, une rue se creuse.
Quelques mètres plus bas, les camions basculent leur charge de terre, qu'armés de pelles, une équipe d'ouvriers étend et nivelle pour la construction en remblai d'une deuxième rue.
Des curieux contemplent ce travail rapide et le discutent :
« Procédé ingénieux, dit quelqu'un, mais que de bras supprimés par cette mécanique ! »
« Certes, rétorque un autre, mais aussi quelle économie de temps et d'argent.
Il eut fallu des mois pour percer ces deux rues, avec cette pelle, en quelques jours, leur terrassement est terminé.
Voyez la facilité avec laquelle cette machine abat les talus. »
Ces deux nouvelles rues réunirent plus tard les rues de Verdun et Anatole France.
Pour le moment, elles ne seront qu'amorcées dans la partie lotie du terrain formant l'angle des rues Inkermann et de Verdun, sur lequel serpente un ruisseau : le Douric, qui donna son nom à ce quartier.
Le ruisseau forme la limite séparant les communes de Lambézellec et de Saint-Marc.
Ses débordements dans les périodes de pluie, inondant les vieilles maisons en bordure de la rue de Verdun, obligèrent, il y a quelques années, de le canaliser dans un aqueduc souterrain pour la traversée de la rue.
Il ressort en face, dans une grande propriété et par la rue du Gaz, va se jeter dans la mer.
Seules, depuis deux ou trois ans. le toit de l'immeuble central s'étant écroulé, les deux maisons extrêmes étaient habitées.
Elles vont, dans quelques jours, disparaître sous le pic des démolisseurs.
Ces anciennes fermes avaient été construites vers 1770 et furent achetées ainsi que les terrains d'alentour, en 1780 par Pierre Duret, médecin de marine et conseiller municipal, qui donna son nom à une des rues situées près de l'église Saint-Martin.
Après les excellentes études qu'il avait faites à Poitiers. Pierre Duret venait, en effet, d'être nommé « aide-chirurgien entretenu » de la marine au port de Brest.
Ces vieilles maisons ont leur légende.
Quand on construisit ces maisons basses aux murs épais.
Brest ne débordait pas de la ceinture de remparts ne s'ouvrant sur l'extérieur que par deux portes, closes la nuit par leurs ponts-levis relevés.
En dehors des fortifications, il n'y avait que des terrains vagues, des champs et, çà et là, quelques fermes bâties au bord d'étroits chemins de terre cahoteux et malaisés.
II n'existait pas alors de service vicinal.
C'est en bordure de l'une de ces pistes reliant le Grand chemin – la rue Jean-Jaurès actuelle – au Moulin-Blanc qu’avaient été bâties les fermes du Douric.
La période révolutionnaire n'avait guère inquiété leurs habitants, vivant chichement de leurs récoltes et ne se rendant que fort rarement à la ville pour vendre leurs grains.
Fin 1790. un ouvrier sellier avait loué à Pierre Duret une des maisons du Douric.
Une nuit de mars 1793, où le vent soufflait en tempête, un homme vint frapper doucement à sa porte.
Le sellier ouvrit.
L'homme fut introduit dans la maison en grand mystère.
Une paillasse, soigneusement dissimulée, fut installée dans le grenier.
Caché là, l'inconnu, ne sortant que la nuit, était persuadé, ainsi que celui qui lui donnait une dangereuse hospitalité, que sa présence était ignorée de tous.
Cependant, un jour, des hommes armés arrivèrent brutalement chez le sellier, visitèrent sa maison de fond en comble et découvrirent celui qu'ils cherchaient.
À cette époque de suspicion et de délation, la simili justice était expéditive.
Il suffisait de dire de quelqu’un qu’on l’avait entendu crier :
« À bas la République ! » pour qu’il fut traduit devant le tribunal révolutionnaire.
Ce tribunal tenait ses assises dans la chapelle de la Marine, près du marché Saint-Louis.
Après un simulacre de jugement, les trois juges qui siégeaient alors prononçaient invariablement la peine de mort contre les suspects.
L'accusé était immédiatement remis au bourreau qui portait le nom séraphique d'Ange.
En lui coupant la tête, sur la place du Château, pompeusement baptisée « place du Triomphe du Peuple », où la guillotine était dressée en permanence, Ange « vengeait la patrie ».
Certains ont prétendu, — aucun document ne le prouve — que l'homme réfugié chez le sellier du Douric pendant la Terreur, n'était autre que le chirurgien Malmanche, qui fut de 1790 à 1791, maire de Brest.
Malmanche était au nombre des trente administrateurs du Finistère, accusés « d'avoir conspiré contre la République ».
Écroué dans les cachots du château, il fut guillotiné avec vingt-cinq de ses compagnons, sur la place du Triomphe du Peuple, le 4 prairial an II (juin 1793).
L'histoire ne dit pas ce qu'il est advenu du sellier, mais on prétendit que le trésor ayant appartenu à l'homme dont il fut l'hôte, avait été enfoui sur les rives du ruisseau du Douric.
L'époque de la Terreur passée, on en sonda les bords.
Toutes les pierres en furent consciencieusement soulevées, sans trouver le moindre liard.
Pierre Duret était toujours propriétaire d'une partie des terrains du Douric.
Pour le récompenser d'avoir créé, dans la maison qu'il possédait sur l'emplacement actuel de la rue Kerfautras, un hôpital où, l'un des premiers, il employa le vaccin contre la variole – après vingt ans d’expériences personnelles, Jenner venait, en effet de rendre publique, en 1796, sa découverte.
Napoléon 1er fit don en 1805 à Duret de plusieurs hectares de terrains « jouxtant » sa propriété au Douric.
Une lettre de Pierre Duret, datée de 1824, quelques mois avant sa mort, disait avec une extraordinaire prescience :
« Je suis certain de l'avenir de Brest. Je suis convaincu de sa rapide extension.
Le Douric deviendra un jour un des plus beaux quartiers de la ville. »
Trois ans après la mort de Duret, qui eut lieu le 27 juillet 1825, M. Barchon, maire de Brest, préconisait la réunion à la ville de tout le faubourg de Lambézellec, annexion qui fut rendue définitive par la loi du 2 mai 1861.
La fille de Pierre Duret, Mme Miriel, fit don à la commune de Lambézellec des terrains nécessaires au percement de la rue Inkermann.
Le 17 novembre 1864, M. Michel Morand, maire de Lambézellec, remerciait en termes chaleureux la fille de Pierre Duret de la lettre qu'il avait communiquée au Conseil municipal annonçant qu'elle donnait « gratuitement et généreusement » la portion de terrain lui appartenant, qui allait permettre de relier à la rue de Paris le port de commerce, en prolongeant par la rue Inkermann, la rue du Gaz.
En 1865, le Douric devint partie intégrante de la commune de Saint-Marc, le ruisseau formant la limite de séparation avec Lambézellec.
Des immeubles s'édifièrent tout autour.
Le Douric conserva à peu près son aspect primitif : ses près verdoyants et les grands arbres qui ombrageaient la route.
Dans les vieilles maisons, seul le choc des battoirs des lavandières troublait le calme.
Il y a trois ans, pour l'élargissement de la rue de Verdun, devenue dangereuse pour la circulation accrue — la route du pont de Plougastel n'était pas encore ouverte — on vit avec regret abattre ces beaux arbres.
Les héritiers de la famille Miriel se sont décidés à réaliser la prédiction de leur aïeul Pierre Duret et à créer un quartier nouveau, une cité-jardin selon les règles de l'urbanisme le plus moderne.
Ce quartier n'aura rien de commun avec le trop célèbre village nègre dont Saint-Marc ne peut s’enorgueillir.
Les rues que l'on construit avec tant de précipitation seront bordées d'arbres.
La première, un boulevard, ira rejoindre, près des établissements Citroën, la route de Gouesnou.
L'autre, après avoir traversé le Bragen, débouchera rue de Paris.
Sur le boulevard, une rue en U, sur laquelle on répand déjà une couche de pierres concassées provenant des vieilles masures démolies, permettra à l'air, à la lumière et au soleil de pénétrer dans toutes les maisons qui s'élèveront bientôt dans ce nouveau quartier.
Qui sait si en procédant aux fouilles pour leurs fondations on ne découvrira pas le trésor enfoui par l'innocente victime de la Révolution ?