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Fenêtres sur le passé
1939
Drame au passage à Saint-Pabu
Source : La Dépêche de Brest 23 janvier 1939
Entre Saint-Pabu et Landéda, un bras de mer :
L'Aber-Benoît, large d'environ deux cents mètres, séparent les deux rives.
Un passeur, armé de deux avirons, transborde sur sa robuste embarcation d'une cale à l'autre, pour 0 fr. 50,
les promeneurs assez nombreux le dimanche, des jeunes gens en cette saison, des touristes en été.
Hier, après déjeuner, deux marins de l'État : Lucien Tréguer, 20 ans, matelot infirmier à l'hôpital maritime de Brest ;
Antoine Coum, matelot gabier à bord du Dunkerque, accompagnés de Joseph Coum, 17 ans, frère d'Antoine, marin goémonier, et de leur cousin Félix Pronost, 17 ans, novice, prenaient à Landéda le canot du passeur pour passer l'après-midi à Saint-Pabu.
Vers 17 heures, ils décidèrent de regagner leurs domiciles.
Ils demandèrent au passeur de les ramener à Landéda, mais le vent soufflait en tempête,
la mer qui montait était très grosse.
Des lames, frangées d'écume, venaient se briser sur la côte avec fracas.
Le passeur refusa d'appareiller.
Les deux matelots n'avaient qu'une permission de 24 heures.
Il leur fallait prendre ce matin l'autocar de 5 heures pour regagner leurs postes à 7 heures.
Ils voulaient rentrer avant la nuit, aussi ils insistèrent auprès du passeur.
Mais, devant son refus, ils décidèrent de prendre un youyou — fragile barque de 2 m. 50 de longueur à peine —
et s’y embarquèrent.
L'un d'eux godilla vigoureusement et, ballotté par les flots, malgré le courant violent, le youyou était parvenu à une cinquantaine de mètres de la cale de Landéda, quand Mme Paillier, qui se trouvait à la fenêtre du café
« À la descente de la côte », à quelque distance de la cale de Saint-Pabu, vit, avec effroi, la petite barque disparaître, ainsi que ses occupants.
Elle courut prévenir ses voisines les plus proches :
Mmes Cloarec, Le Goff et Morel, qui donnèrent l'alarme.
Le passeur, M. Saliou, n'hésita plus.
Aidé par trois marins pêcheurs de Saint-Pabu, il fit force de rames pour se diriger vers le lieu de l'accident
Sur l'autre rive, on avait aussi aperçu le naufrage.
Olivier Coum, qui guettait sur la cale l'arrivée de ses frères et de leurs compagnons, avait vu une grosse lame recouvrir le youyou qui avait coulé à pic avec ses occupants.
Il alla chercher du secours.
En un instant, la cale s'emplit d'hommes et de femmes, impuissants à porter secours aux naufragés.
Quelques instants après on vit, trempé, épuisé, à bout de forces, le plus jeune des naufragés,
le novice Félix Pronost, prendre pied à une centaine de mètres en amont de la cale.
On le réconforta et on le conduisit au domicile de ses parents à Streat-Glas,
à quelques centaines de mètres de Landéda.
Le canot du passeur avait recueilli flottant au fil de l'eau, emporté par le courant,
le corps de Lucien Tréguer devant Prat-ar-Coum.
Ils le ramenèrent en hâte chez M. Rozec où le docteur Riou, de Lanniiis. aidé de deux pêcheurs,
fit pendant deux heures tous ses efforts pour le rappeler à la vie.
En pure perte, hélas ! Le malheureux avait succombé à une congestion.
La nuit était venue, très sombre.
Le vent soufflait avec rage.
Les lueurs verdâtres du phare de l'île Vierge éclairaient, de seconde en seconde les hommes et les femmes qui, une lanterne-tempête à la main, cherchaient sur le rivage les corps des disparus.
La mer descendait.
À 21 h. 30 un corps fut aperçu échoué sur les galets de la grève de Landéda.
C'était celui d'Antoine Coum, le gabier du Dunkerque.
Sur un brancard, fait de branchages, on le transporta au domicile de sa mère à Kernevez, en Landéda.
Malgré la pluie et la tempête, les recherches se poursuivirent jusqu'à mi nuit, mais le corps de son frère Joseph n'était pas encore retrouvé à notre départ de Landéda.
Lucien Tréguer était le plus jeune fils d'une famille de dix enfants, dont il ne reste plus que deux fils et trois filles
La mère est veuve depuis 1920.
Un frère de la victime est marin et se livre à la pèche du homard et de la langouste et à la récolte du goémon ;
l'autre est maître à la direction du port de Toulon.
En 1931, un autre frère de Lucien mourut accidentellement pendant son service.
Le 12 août, au pardon de Landéda il était monté sur les balançoires.
Vigoureux, il tira si fort sur la corde qui la mettait en branle, qu'il tomba et se fractura le crâne.
Transporté à l'hôpital maritime, il décéda le 24 août après d'atroces souffrances.
Les frères Coum, dont la mère est également veuve, étaient les plus jeunes d'une famille de onze enfants.
Le rescapé, Félix Pronost, encore sous le coup de la profonde émotion qu'il a subie, était le cousin de Lucien Tréguer.
Les gendarmes de Lannilis procèderont ce matin à une enquête sur ce pénible accident qui plonge dans la douleur trois familles de ces laborieuses populations de Landéda, fort estimées dans le pays, à qui nous présentons
nos bien sincères condoléances.
Source : La Dépêche de Brest 24 janvier 1939
Le corps de Joseph Coum a été retrouvé hier, à 13 heures
Les obsèques de Lucien Tréguer ont eu lieu, à 15 heures, au milieu d'une affluence considérable de parents et d'amis
Les recherches pour découvrir le corps de la troisième victime du lamentable accident de dimanche soir, à Landéda, furent reprises hier matin, dès que la mer commença à descendre.
Vers midi 30, non loin de l'endroit où François Bescond avait vu l’embarcation empruntée à M. Jean Bihannic,
de Broennou, un des frères Coum, en draguant, accrocha enfin, à demi enlisé dans la vase,
le corps du jeune novice de 17 ans, Joseph Coum.
Il fut transporté sur la cale de Landéda en attendant l'arrivée des gendarmes Lucas et Le Gall de la brigade de Lannilis, puis on le conduisit à Kernévez ou, après la toilette funèbre,
il fut placé près de la dépouille mortelle de son frère Antoine.
Leurs obsèques auront lieu ce matin, à 10 heures.
À 15 heures, avaient lieu, au village de Strea-Glass, les obsèques de Lucien Tréguer, matelot infirmier à l'hôpital maritime de Brest.
Une foule considérable de parents et d'amis dans laquelle toutes les familles de Landéda, Saint-Pabu et villages voisins étaient représentées, suivaient la bière portée par des camarades du défunt.
Une délégation de l'hôpital maritime accompagnait de deuil conduit par M. Olivier Tréguer.
Elle était composée de MM. le médecin de 2e classe Guennec, du second-maître infirmier Tanguy,
des quartiers-maîtres François Floch et Francis Allier et des matelots infirmiers François Tréguer et François Appriou, natifs de Landéda et camarades de Lucien Tréguer.
Les deux matelots portaient une superbe couronne offerte par le personnel de l'hôpital.
Effondrée, la pauvre mère reçut les condoléances et les marques de sympathie de toutes les personnes venues assister aux obsèques de son plus jeune fils.
Nous y joignons les nôtres.