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Chroniques d'un monde paysan à jamais disparu
Louis Conq de Tréouergat raconte ...
Source : "Les échos du vallon sourd" de Louis Conq - Brud Nevez
Remerciements à Lucien Conq
Accident de charrette
Quant à moi, au printemps qui suivit, je me distinguai encore par une nouvelle bêtise qui aurait pu avoir des conséquences très graves.
Mes parents, ce mercredi, étaient partis avec un cageot de porcelets à la Foire de Mai à Lannilis.
À la maison, j'avais, entre autres choses, à faire une charge de trèfle.
On m'avait bien recommandé de faire très attention à la jeune jument, très ombrageuse.
Elle avait déjà pris le mors aux dents et causé des dégâts.
Mais comme j'étais mort de fatigue, après deux journées de labour à la charrue les lundi et mardi précédents, je pensais qu'elle devait l'être également, cette « sacrée toupie ».
Avec l'aide d'Yvonne, je l'attelai sans histoire.
Mon cheval ne broncha pas.
Alors, me dis-je, pourquoi ne m'assoirais-je pas sur le limon, à la mode de chez nous, au lieu de tenir mon cheval par la bride, comme on me l'avait recommandé ?
Mais, à peine sorti de la cour, ce chenapan de cheval frémit, prêt à s'élancer.
Je pus le retenir et le tirer sur la droite vers le talus bordant le chemin.
Hélas, là se trouvait, dans le fossé, un coquin de rouleau de pierre que nous avions utilisé les jours précédents.
La roue droite de la charrette passa dessus.
Ébranlé, je cherchai à me retenir, pour ne pas tomber à la renverse entre les deux brancards.
Sous le choc, le bruit et le saut de la charrette, mon cheval s’élança pour prendre le grand galop, malgré tous mes efforts pour le retenir.
De nouveau déséquilibré, quand la roue toucha terre à nouveau après le rouleau, je tombai brutalement le nez sur la route, tandis que la roue me passait sur le corps, me brisant la jambe gauche.
La charrette filait en sautant dans un vacarme infernal, en direction d'Enez Rouz.
Je cherchais à me relever, pour lui courir après.
Mais j’eus tout de suite la désagréable surprise de découvrir que mon genou pliait maintenant... dans le mauvais sens.
Je compris que ma jambe était brisée.
Je m'assis par terre sur le chemin, en maintenant ma jambe raide, en pesant dessus de mes deux mains, pour la tenir immobile.
À Enez Rouz, la jument épouvantée chercha à pénétrer dans l'écurie avec la carriole, mais elle resta bloquée dans l'encadrement de la porte, sans pouvoir ni avancer, ni revenir en arrière.
Une roue de la charrette avait accroché au passage celle d'une autre voiture, dételée au milieu de la cour, et l'avait entraînée jusqu'à l'entrée de l'écurie.
Vieux Klastrig détela la jument avec l'aide d'Yvonne.
Après ils vinrent vers moi, se doutant fort, en voyant ma mine, que je devais être blessé.
Je n'avais pas de quoi être fier de mon exploit.
Je leur dis que j'étais certain que ma jambe était cassée.
Quand je cherchais à me remettre debout, elle avait plié à l'envers. Yvonne fila au bourg chercher quelqu'un pour rattraper mes parents à vélo sur la route de Lannilis et les faire revenir.
Yvonne rencontra M. le Recteur.
Ce dernier vint immédiatement avec elle consulter les résultats de « ma bêtise ».
Le Recteur et le Vieux Klastrig me transportèrent de la route jusqu'à mon lit sur la civière à porter de l'herbe.
Un peu plus tard, mes parents étaient de retour et je leur confessais : « Je ne le ferai plus ! »
Le médecin me « rangea » la jambe dans l'après-midi.
Cet accident stupide, survenu le cinq mai, tout juste le jour de mes vingt ans, fut pour moi une occasion sans doute providentielle de réfléchir à bien des choses, car je dus garder le lit durant un bon bout de temps.
Les jours suivants, j’avais l'impression que ma jambe « brûlait » et ma souffrance alla en empirant. Je fus envahi par un terrible urticaire.
Une fois ce dernier résorbé, le temps s'écoula plus agréablement.
Je lus un tas de livres que m'apportèrent Charles, le cousin séminariste, et bien d'autres jeunes.
Convalescent, j'allais et venais à l’aide des béquilles que j'avais moi-même fabriquées sur mon lit.
J'y avais sculpté au couteau un serpent en spirale.
Enfin au mois d'août, j'étais suffisamment rétabli pour enfourner les gerbes dans la batteuse, puis courir à nouveau les pardons avec les copains.