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L'affaire Jaffrès,

un crime en pays léonard

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Charles Cassells

Né en 1955.

Études à Brest (Langues et Littérature étrangères)

puis à l'ESIT (École d'Interprètes de la Sorbonne).

A travaillé près de trente-huit ans comme interprète de conférence

à Bruxelles, jusqu'au niveau ministériel et des sommets de chefs d'Etat. Partage désormais son temps entre Bruxelles et Plougonvelin.

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Jean-Claude Broché

Né en 1945.

Études en sciences politiques et journalisme à l'Université de Bruxelles. A débuté en 1967 dans la presse sportive et a fait ensuite

quelque trente-cinq ans, partie, comme reporter et puis comme cadre, de la rédaction du "Soir".

Mais sa prédilection était pour les énigmes judiciaires,

les grands procès...

et les petits qui en apprennent beaucoup sur l'état de nos sociétés.

POURQUOI ?

 

Samedi 16 décembre 2006, Bruxelles :

Un Breton de Belgique confie à un ami un secret de famille.

Secret si secret qu’une partie de la famille l’ignore…

Secret comme souvent nimbé de mystère par l’imprécision du souvenir de bribes de confidences maternelles.

 

«Ma grand-mère bretonne,  morte quand j’avais quatre ans, fut, paraît-il, une femme remarquable.

Élevée en orphelinat, elle eut beaucoup à souffrir de ce que son père, un fermier nommé Jaffrès, avait tué sa mère et l’amant

de celle-ci à coups de hache, en découvrant, au retour d’un rappel militaire,

qu’elle le trompait et attendait un enfant du valet de ferme.

Cela se passait à Sizun (Finistère) ou dans la région.

Jaffrès serait mort à Cayenne quelques mois après avoir été jugé tandis que sa fille découvrait la cruauté d’une époque 

pas miséricordieuse pour les gosses d’assassins et de «débauchées »

 

Sur la base de ces éléments dont ils allaient éprouver la fragilité, les deux amis, dont un journaliste retraité titillé

par l’énigme et son défi, entreprirent des recherches… dont le résultat fut sensiblement différent du drame annoncé.

 

Plus noir encore, ou plus rouge sanglant, que la version de départ où, sans être pour autant excusable,

le forfait de ce Jaffrès prenait des allures de crime d’honneur faisant un peu songer à la devise de la Bretagne

et de l’hermine « Melius mori quam feodari » («Plutôt la mort que la souillure»).

 

Ce n’est pas le cas. Alors pourquoi toutes ces lignes, puisqu’il ne s’agit pas du tout de la réhabilitation

d’un pré-Seznec (*) ?

Pourquoi dépenser de l’énergie pour un condamné à vie qui méritait sans doute la mort selon les critères de l’époque ?

 

Par devoir de mémoire ( à commencer par celle des victimes de Jaffrès ) et par souci de transmettre aux postérités

ce qui s’approche de la vérité plutôt qu’une légende.

Même si on est ici dans un registre sinistre faisant songer à celle de l’Ankou breton, ce squelette armé d’une faux

qui embarque qui le voit dans son char fatal.

(*) Célèbre affaire judiciaire bretonne. Accusé d’avoir fait disparaître en 1923

un compagnon de voyage (Pierre Quemeneur), Guillaume Seznec (1878-1954)  fut, comme Jaffrès, condamné à perpétuité par les assises de Quimper et passa quelque vingt ans au bagne.

Il a toujours nié, on n’a jamais retrouvé Quemeneur mais toutes les campagnes de réhabilitation

ont échoué.

Seznec, exploitant d’une scierie, était  né à Plomodiern mais c’est le notable Quemeneur

qui était le plus proche de la région de notre récit : il naquit à Commana, il a acheté avec son frère et deux de ses sœurs une petite maison à Saint-Sauveur et il fut élu en 1919 conseiller général de Sizun.

Intercalons ici quelques repères élémentaires pour les lecteurs non-Bretons…

 

La Bretagne est une des 22 régions de la France métropolitaine.

Ce découpage administratif de 1982, confirmant une hérésie pétainiste de 1941, 

a fait fi de réalités historiques puisque la Bretagne (« capitale » : Rennes)

n’y compte que quatre départements (Côtes-d’Armor, Finistère, Ille-et-Vilaine et Morbihan). Le cinquième, la Loire-Atlantique, avec Nantes, Saint-Nazaire, La Baule, Le Croisic,

Le Pouliguen, Pornic, Guérande… a été versé dans la région « Pays de la Loire »

alors que Nantes fut le fief des ducs de Bretagne et que l’union de celle-ci à la France résulta du mariage en 1491 de la duchesse Anne de Bretagne (1477-1514) et de Charles VIII. L’acte d’union fut signé à Vannes en 1532.

A l’extrémité ouest de la Bretagne, le Finistère est le département 29 au tableau

de la République et des plaques d’autos…

Il doit son nom à l’abbaye Saint-Mathieu de Fine-Terre dont les ruines sont à Plougonvelin, commune côtière à 20 kilomètres de Brest.

Le Finistère a quatre arrondissements (Brest, Châteaulin, Morlaix, Quimper).

Il comporte 54 cantons et 283 communes.

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Sizun

DEUX MORTS DÈS AVANT LE DOUBLE CRIME

 

Notre histoire macabre mais vraie est celle d’un double crime en Finistère, dans la région très catholique du Léon,

jadis surnommée « terre de prêtres ».

En août 1894, Jaffrès, cultivateur, 41 ans, était depuis deux mois veuf de Marie Anne Olivier, décédée des suites

d’un accouchement,  à l’âge de 35 ans.

Ils avaient eu cinq enfants, trois fils et deux filles.

Le cinquième enfant, un garçon, prénommé Christophe-Marie, est décédé à deux semaines, le 3 juin 1894,

quelques jours après la mort de sa maman. (**)

Les autres enfants de Jaffrès avaient noms Jacques, Marie-Anne, Jean-Marie et Marie-Herveline.

 

La famille Jaffrès demeurait depuis trois ans au « Salou-Coativy » à Ploudiry (Finistère),

au sud-est du bois de Saint-Antoine, près de la chapelle dédiée à ce saint, sur le versant nord de la vallée de l’Élorn, petit fleuve côtier qui coule à quelques centaines de mètres de la ferme.

Antérieurement, avant de prendre un contrat de fermage,

les Jaffrès logeaient à Kervénan-Vras à un kilomètre au nord de Sizun.

Le père de notre « héros », mot mal choisi, vivait toujours à Kervénan lors des faits ;

il avait 72 ans et son fils avait encore été le 7 août, veille du double crime,

l’aider à faire les foins.

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(**) Jaffrès fut inculpé pour la mort soudaine de ce bébé mais il bénéficia d’un non-lieu.

Le soupçon qu’il ait étouffé ce dernier-né reprit vigueur deux mois et demi plus tard, quand Jaffrès fut accusé

du double crime que nous allons évoquer ;

il y eut perquisition du domicile familial et exhumation du petit cadavre fin août 1894 mais le corps était déjà dans un état de décomposition tel que la médecine légale de l’époque ne pouvait arriver à aucune conclusion.

Jaffrès a affirmé que le bambin n’était même pas chez lui, mais en nourrice chez M. et Mme Léon

au hameau du Fers, à cinq minutes de marche, quand un refroidissement prit une tournure fatale.

« ET LES FRAIS, ILS SONT POUR MOI ? »

 

Le hameau de Kerbrat est situé à un peu plus de trois kilomètres à l’est du bourg de Sizun,

sur le chemin  de cette localité à Saint-Sauveur et Saint-Thégonnec.

Il se compose de deux groupes d’habitations: Kerbrat-Tosta et Kerbrat-Pella.

Kerbrat-Pella, lieu précis du drame, ne comprenait que trois maisons d’aspect misérable, à gauche,

à quelques dizaines de mètres de la route.

 

Le mercredi 8 août 1894, à Kerbrat-Pella donc, au terme d’une nuit de pluies et de grand vent,

un double crime fut découvert dans la demeure de Mme Marie Gabrielle Kerbrat, veuve Le Menn, âgée de 42 ans.

Son corps et celui de son fils Guillaume, huit ans, gisaient en vêtements de nuit, dans des mares de sang, 

près de l’entrée.

L’état des cadavres – éventrés, lardés de coups de couteau, aux crânes fracassés – était particulièrement abominable. Le sol était jonché de débris de cervelles…

 

Le médecin légiste, le Docteur Gustave Éléouet, de Morlaix, qui autopsia sur le plateau d’une charrette

dans une grange voisine, avait rarement vu pareille horreur…

 

Ni viol ni vol. Mme Kerbrat avait encore ses économies (46 francs, dont une pièce d’or) dans une des deux poches mobiles qu’elle plaçait d’ordinaire sous ses jupons.

 

Elle n’avait absolument rien d’une riche veuve :

la maison que les journaux qualifieront de taudis était une masure de quelques mètres carrés sans étage ni clarté.

Une seule fenêtre, sans vitres, de 45 centimètres sur 35, en partie occultée par une planche.

Seuls meubles : deux lits clos, une armoire et une chaise sur un sol en terre battue…

 

Marie Gabrielle Kerbrat  avait eu deux enfants naturels,  Marie Anne, puis Alain, avant d’épouser Jean-Marie Le Menn dont elle eut Guillaume, tué avec elle.

 

La victime était journalière.

On disait qu’elle avait eu «une vie agitée», mais elle était rangée de ce que les gazettes appelleront

«ses fautes de jeunesse» et elle était même bien considérée dans le bourg pour le dévouement dont elle avait fait preuve en soignant son mari, épousé après deux naissances d'enfants « naturels ».

Le mari était selon l'appellation de l'époque  « poitrinaire », et fut alité deux ans avant son décès.

C’était une femme de confiance, très probe, tantôt laveuse, tantôt gardienne, soignant les malades,

faisant la toilette des morts.

Sa fille, Marie Anne, domestique, était, paraît-il, très belle.

Elle avait quant à son travail, des appréciations favorables de ses employeurs, notamment des hôteliers de Sizun.

Au moment des faits, elle venait de quitter le service de l’hôtelier Bléas.

Le 1er août, elle avait épousé Joseph Cadiou, du Tréhou.

 

Le fils, Alain, 18 ans, était depuis quatre ans et demi domestique à Rosnoën,

à 25 kilomètres de Sizun et ne rentrait chez sa mère qu’une fois l’an ;

il venait cependant de passer chez elle pour le mariage de sa sœur.  

 

Le crime sexuel et le crime de cambrioleur écartés,

on pouvait penser à l’œuvre d’un fou ou plutôt à une vengeance.

 

Un objet insolite fournit une toute première piste : une pipe !

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Mais il fut vite établi que la bouffarde était celle… de la veuve et que le 7 encore, avant de se coucher,

elle avait envoyé son petit garçon chez les voisins pour chercher de la braise afin de pouvoir fumer…

Autre piste, la bonne :

des bans de mariage publiés, retirés, refaits indiquaient que Mme Kerbrat, désireuse de marier sa fille Marie Anne,

21 ans, enceinte de six mois, avait, le mois précédent, balancé entre deux prétendants, tous deux veufs depuis peu : Yves Jaffrès et  Joseph Cadiou, du Tréhou.

 

Comme on l’a déjà signalé, Cadiou avait, si l’on ose écrire, emporté le morceau,

et le mariage fut donc célébré à l’église du Tréhou, le 1er août.

 

Pourtant, Cadiou avait lui-même hésité et seule une dot de cent francs, dont il avait exigé le dépôt au greffe

de la justice de paix,  l’avait in extremis décidé à convoler quand même avec Marie Anne.

C’est que Cadiou courait à la fois deux « lièvres  », si l’on peut employer ce masculin :

il hésitait entre la fille Kerbrat et une veuve nommée Marguerite Le Gall.

 

C’est  une « bazvalan » (entremetteuse), Marie-Jeanne Déniel-Lanchec, de Quistillic, qui négociait avec les Kerbrat

pour Jaffrès.

Celui-ci, après l’accord, le 9 juillet, de la promise et de sa mère, avait alors publié des bans à ses frais, chez lui,

à Ploudiry, avant de constater que la formalité-sœur n’était pas faite à Sizun et puis que, si affichage il y avait enfin, c’était… au profit de Cadiou, proposé le 8 juillet à la fille Kerbrat par une autre « bazvalan », Marie Anne Prigent.

La déposition de cette entremetteuse est éclairante sur la condition féminine chez les petits paysans bretons

en 1894 :

« Le dimanche 1er juillet, Cadiou avait dit à mon mari :

Voici deux mois environ que j’ai perdu ma femme ;

depuis ma sœur est venue m’aider à tenir ma maison, mais elle me dit qu’elle ne restera pas et voilà les travaux

de la récolte qui vont commencer.

Ne pourriez-vous pas me trouver pour me remarier une femme capable et courageuse au travail le plus tôt possible ?»

Joseph Cadiou était veuf de Jeannie Le Menn.

 

Côté Jaffrès, veuf également, depuis deux mois, ce n’était pas plus fleur bleue :

il avait d’abord fait proposer par son entremetteuse à Marie Anne Kerbrat…

de venir quelques mois chez lui comme domestique, avant qu’il l’épouse…

La chronologie du « balancement » entre Cadiou et Jaffrès mérite d’être reprise ci-après :

 

  • dimanche 1er juillet :
    Cadiou demande à la marieuse Prigent de lui retrouver femme,

  • samedi 7 juillet :
    Jaffrès fait proposer à Marie Anne Kerbrat, 
    par l’entremetteuse Lanchec
    de venir chez lui comme domestique ;
     il l’épouserait plus tard,

  • dimanche 8 juillet :
    Prigent présente Marie Anne à Cadiou,

  • lundi 9 juillet :
    Marie Anne dit à Lanchec qu’elle veut être mariée plutôt que gagée,

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  • nuit du 9 au 10 juillet :
    les Kerbrat et Jaffrès tombent d’accord pour un mariage immédiat,

  • mardi 10 juillet :
    ils accomplissent ensemble à Ploudiry les formalités de bans mais les Kerbrat ne font pas de même à Sizun,

  • mercredi 11 juillet :
    Marie Anne va visiter la ferme de Cadiou, au Tréhou, et est d’accord pour l’épouser,

  • vendredi 13 juillet :
    Cadiou montre sa ferme à la mère Kerbrat mais introduit au Tréhou des bans pour épouser une certaine Marguerite Le Gall,

  • samedi 14 juillet :
    il fait supprimer les bans Cadiou- Kerbrat,

  • dimanche 15 juillet :
    Jaffrès échoue dans sa tentative de faire changer d’avis les Kerbrat (qui ignorent l’épisode Le Gall),

  • mardi 17 juillet :
    Cadiou dit qu’en définitive il optera pour Marie Anne si sa mère la dote de cent francs,

  • jeudi 19 juillet :
    accord définitif. Sur ses bans, Cadiou remplace vite Marguerite Le Gall par Marie Anne Kerbrat

  • mercredi 1er août :
    mariage Cadiou-Kerbrat.

 

Cadiou, vainqueur de cette joute peu romantique, était plus jeune, sans enfant, alors que Jaffrès en avait quatre

« en mauvaise santé ».

Sa situation matérielle était gravement obérée. Il avait dilapidé 2400 francs hérités de sa mère ;

il s’était brouillé avec son beau-frère avec lequel il avait pris son fermage de trois ans ;

il en devait quasiment deux années à 570 francs à la veuve Le Faou,  propriétaire de cette exploitation

qu’il allait bientôt devoir quitter. On allait vendre ses mobiliers.

Déjà, il avait vendu son cheval et sa récolte sur pied. Il lui restait deux vaches.

Il était aux abois, avec quatre enfants à charge…

Jaffrès avait quelque raison d’en vouloir à Mme Kerbrat et à sa fille car il faut admettre, sans excuser

l’horrible vengeance de l’évincé, qu’elles avaient fait preuve d’une certaine duplicité…

Elles lui avaient fait dépenser des sous et l’avaient ridiculisé.

L’humiliation d’un Breton, d’un Léonard de surcroît – homme d’orgueil – , devait avoir de terribles conséquences.

Pourtant – était-ce pour donner le change ? – le dimanche avant son double crime, le 5 août, Jaffrès s’était rendu vers 22 heures chez des voisins cultivateurs de Salou-Coativy, les Piton-Le Gall,

en leur apportant une bouteille d’eau de vie et en claironnant

qu’il regrettait si peu l’échec de son projet Kerbrat

qu’il avait demandé en mariage une bonne de la famille Quentric, au village de Kervroch en Ploudiry.

 

Jaffrès passait pour ivrogne, brutal et paresseux.

Il buvait beaucoup à l’auberge de Logullut (Loc-Ildut) :

l’échec de son fermage de Ploudiry dont il était dégoûté

et la mort de sa femme avaient augmenté son intempérance

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L’auberge de Logullut (Loc-Ildut)

Photo Charles Cassells 2008

et sa fréquentation de cette auberge, relais de poste isolé, situé sur la vieille route nationale de Landerneau à Angers,

à un quart d’heure de marche du Salou-Coativy.

 

Sa belle-mère lui avait, dans un autre débit de boissons, chez Perrot, à Ploudiry, commenté la mort de sa femme

en ces termes :

« Il n’est pas fâcheux que ma fille soit morte car elle ne souffrira désormais plus avec toi ».

La belle-mère avait même affirmé que sa fille était battue mais elle l’avait démenti ensuite.

 

On rappellera que le Finistère était tenu en 1894 (et cette mauvaise réputation perdura) pour particulièrement criminogène pour causes d’alcoolisme et d’analphabétisme.

 

L’accusé n’avait cependant pas d’antécédent judiciaire mais il était certainement menteur.

Il prétendit n’être jamais allé chez  la victime (il y avait été pour négocier ses fiançailles).

En outre, il avait confié à plusieurs témoins qu’il se vengerait.

Enfin, un de ses pantalons était ensanglanté (« une vieille blessure »).

 

Dès le lendemain du crime, Jaffrès était appréhendé, conduit jusqu’à la pauvre masure de la veuve où il manifesta

une émotion certaine à la vue du corps du petit Guillaume…

Premiers signes pour les enquêteurs…

Qui plus est, enchaîné à un autre détenu appréhendé pour vols dans des églises, Jaffrès avait ensuite maladroitement tenté de fausser compagnie aux gendarmes…

Malgré le témoignage du sieur Pouliquen

et de sa femme Marie Anne Guillerme

(« Le 27 juillet, il nous a dit qu’il n’avait pas eu la fille de Mme Kerbrat  mais qu’il lui revaudrait cela, qu’elle n’en avait pas fini avec lui »), Jaffrès tint bon huit jours puis avoua, se rétracta, avoua à nouveau et re-nia devant la Cour d’assises du Finistère, à Quimper,

où il comparut les mardi 30 et mercredi 31 octobre 1894

devant le président Adam.

 

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Marie Anne Cadiou-Kerbrat fut dispensée de témoigner car elle avait accouché l’avant-veille de la première audience !

On lui épargna la vision de pièces à conviction plus ou moins ensanglantées :

un drap de lit, les chemises des victimes, un couteau, deux paires de sabots ferrés, des vêtements de Jaffrès.

 

« La Dépêche de Brest » décrit l’accusé comme

« de taille moyenne, vêtu à la mode du Léon, portant toute sa barbe (sic), l’air un peu égaré ».

Une autre gazette évoque Jaffrès comme

«  petit, chétif, à la figure maigre et jaune, semblant appartenir  à une race rachitique »  (sic).

Il a « la figure sournoise, l’air un peu égaré » (bis).

Pour « Le Finistère », c’est « un homme de moyenne taille, vêtu du costume noir des habitants du Léon.

Il a les cheveux courts, de couleur châtain foncé, plaqués sur le crâne.

Il portait en prison toute sa barbe (resic), mais il comparaît à l’audience fraîchement rasé.

Le front est étroit, le regard fuyant.

Les pommettes sont très saillantes.

La lèvre inférieure avance sensiblement sur l’autre.

Jaffrès est atteint d’une contraction spasmodique de la paupière supérieure et ce tic s’accentuera au moment

de certaines dépositions ou à la voix du Procureur de la République lui retraçant la scène du crime. »

1873 - Registre matricule

 

Taille 1m60

Cheveux blonds

Yeux bleus

Front bas

Nez petit

Bouche grande

Menton rond

Visage ovale

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1894 - Fiche du Dépôt des condamnés aux travaux forcés 

 

Taille 1m595

Cheveux châtains

Sourcils châtains

Yeux "pâle"

Front rectiligne

Nez busqué

Barbe roux

Bouche moyenne

Menton rond

Visage ovale

Teint coloré

Auriculaire gauche et droite ankylosés

Cavité au front côté gauche

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La relation du procès fait apparaître que l’accusé bénéficiait d’un interprète breton-français déjà commis pendant l’instruction du juge Jean-Baptiste Hardouin (Jaffrès avoua notamment à cet interprète, M.Rohan) mais ne permet pas de savoir s’il s’exprimait en français à l’audience.

Lors de l’enquête des gendarmes de Sizun, le gendarme Julien Yves Le Pennec assura la traduction de tous les témoignages, hormis celui de Jean Pennec, charron de 21 ans, neveu de la veuve Le Menn, domicilié à Kerbrat,

seul témoin à s’exprimer en français.

 

Comme, plus près de nous, Dominici Père (*) avoua le célèbre triple crime de Lurs à un « pays »,

un gendarme qu’il connaissait, Jaffrès fit, le 13 août, en Breton la première confidence de son atroce forfait

à un gardien de prison, M. Joseph Le Corre.

Il ajoutait qu’il aurait été plus logique qu’il épousât la mère Kerbrat plutôt que la fille :

« J’aurais mieux fait, mais c’est fait, c’est fait ».

 

À un autre geôlier de Morlaix, il avait bien précisé ce qui avait été « fait » :

« Je suis rentré chez moi vers sept heures et demie ou huit heures ;

j’ai fait une petite prière et je me suis couché.

Puis, vers dix heures trente, je me suis levé pour aller à Kerbrat. 

Arrivé à ce village, vers minuit, je poussai la porte de la veuve Le Menn, je pénétrai dans la maison et j’allai directement au lit où elle était couchée. Je pris aussitôt mon sabot et l’en frappai à la tête, puis je lui donnai trois ou quatre coups de couteau, le dernier au bas ventre que j’ai ouvert.

Je laissai alors la mère pour me porter sur l’enfant.

Je le tirai du lit en le prenant par les bras et je l’assommai à coup de sabot sur la tête, comme je l’avais fait

pour la mère, et je lui donnai un coup de couteau au cœur ».

Un texte au passé simple sans doute assez différent des paroles débitées en breton par Jaffrès… 

Tant qu’à adapter, le rapporteur aurait pu lui faire manier l’imparfait du subjonctif…

Texte de presse aussi un peu inexact car il appert du dossier que Jaffrès avait, malgré la pluie abondante, soigneusement enlevé ses sabots, les tenant en mains, précaution pour n’être pas entendu des voisins

de Mme Kerbrat, qu’il s’était fait reconnaître par celle-ci et que, dès qu’elle avait ouvert la porte,

il avait étourdi la femme d’un coup violent du talon ferré de son sabot gauche et l’avait jetée à terre.

Le pauvre gosse, lui, est mort parce qu’il s’était réveillé, pleurait et était susceptible d’identifier l’assassin de sa mère.

 

« En partant à la faveur du sommeil des personnes de ma maison, j’avais l’intention parfaitement arrêtée de tuer

la veuve Le Menn mais non celle de frapper son enfant.

J’ai tué celui-ci dans la crainte d’être reconnu et dénoncé par lui.

J’ai eu pour la première fois l’intention de tuer la veuve le jour du mariage de sa fille.

Cette idée me hantait tous les jours et jetait un grand trouble dans mon esprit.

Je n’ai jamais eu de relations sexuelles avec la veuve Le Menn et n’ai jamais tenté d’en avoir.

Quant à la fille que je désirais épouser, elle ne s’est jamais donnée à moi ni avant ni après nos fiançailles…

Pour tuer, je me suis servi de mon couteau de poche ordinaire.

Mon crime accompli, j’ai lavé mon couteau en même temps que mes mains dans le ruisseau près de chez moi.

Je n’avais pas aiguisé mon couteau pour me rendre à Kerbrat.

C’est le lendemain, dans un moment de loisirs, comme il faisait mauvais temps, que je l’ai aiguisé… ».

Celui qui recueille ces mots terribles ajoute majestueusement

à son procès-verbal « Nous faisons enlever à l’accusé les sabots qu’il porte et qui d’après ses aveux ont servi à accomplir le crime et nous les déclarons saisis comme pièces à conviction ».

 

Dans une autre déclaration, Jaffrès contait qu’après le crime il était vite rentré chez lui « en prenant parfois le pas de gymnastique ».

S’il avait longtemps nié, c’était «  par peur de la peine de mort »

 

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Au procès, passé en phase de rétractation têtue depuis le 12 septembre, Jaffrès, qui attribuait ses aveux répétés

à la «fatigue », utilisait pudiquement l’expression « ce coup-là » :

« Je ne suis pas capable de ce coup-là, je vous l’assure »,

« Je voudrais ne pas bouger d’ici (sic) si j’ai fait ce coup-là », « Je vous dis franchement que je n’ai pas fait ce coup-là ».

 

En réalité, vers dix heures du soir, Jaffrès, après avoir fait ses dévotions (!), avait fait semblant de se reposer.

Chez lui logeaient aussi trois de ses quatre enfants et deux femmes :

celle qui devait lui succéder dans l’exploitation (Marie Yvonne Derrien épouse François Noël, de Bodilis)

et la servante de Jaffrès, Françoise Le Roux, 31 ans, à son service depuis le 24 juillet.

 

Chez Jaffrès, on dormait dans trois lits clos, lits-armoires, typiquement bretons. Jaffrès partageait sa couche

avec son fils de trois ans. Françoise Le Roux avait deux enfants avec elle ;

l’autre femme, là pour quelques jours, dormait seule.

Il semble que la cadette, Marie Herveline, était logée ailleurs. (**).

Sans être vu ni entendu, Jaffrès s’était levé, avait passé

deux pantalons et avait fait neuf kilomètres à pied pour assouvir

sa terrible vengeance.

Dans ses aveux circonstanciés, Jaffrès  précisa qu’il était resté trois quarts d’heure près des corps en bouillie de ses victimes

et qu’il s’était ensuite minutieusement assuré que leur cœur ne battait plus… Il était de retour chez lui à Ploudiry vers 3 heures 15.

 

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Lit clos Breton

L’aube qui suivit la nuit du crime, Françoise Le Roux s’était levée « vers quatre heures du matin comme d’habitude (!) » pour se livrer aux occupations ordinaires, traire les vaches, écrémer le lait, faire le déjeuner.

Le maître ne s’était levé ce jour-là que vers sept heures et il en avait donné pour cause qu’il souffrait

depuis plusieurs jours « d’un clou au cou ».    

 

« Crime suprême… fureur inouïe… cruauté sauvage… » :

M. Drouot, Procureur de la République, requit évidemment « le châtiment suprême ».

 

À la défense, Me de Chamaillard, mal pris, cita une affaire où une femme innocente  avait pourtant bel et bien avoué

et échappé de peu à la guillotine ;

il mégota sur les deux taches de sang (du pantalon) qui « ne valaient pas la tête d’un homme »

« Si c’était lui qui avait commis le crime, il en serait couvert, de sang, car l’assassin a été obligé de se mettre à genoux sur les cadavres pour leur ouvrir le crâne, pour leur faire les horribles blessures qu’ils portaient.

Et dans une dépression du terrain, à côté de la mère, on a trouvé le lendemain, au moins un litre de sang »

Puis, contredisant sa thèse de l’innocence de son client, le plaideur parla à toutes fins utiles,

de  « pitié, clémence, miséricorde ».

 

Avec succès : vingt petites minutes de délibération, circonstances atténuantes et perpétuité.

« Et les frais, ils sont pour moi ? » demanda Jaffrès qui venait miraculeusement d’échapper aux bons soins

de Louis Deibler, alors exécuteur des hautes oeuvres ! (***).

Si Jaffrès avait été condamné à mort, son sort aurait dépendu de la grâce éventuelle du président Casimir-Perier.

 

En 1894, il y eut 29 condamnations à mort en France, dont quatorze exécutées.

Mais il n’y eut aucune exécution capitale en Bretagne où furent seulement prononcées deux condamnations à mort, commuées, en Ille-et-Vilaine.

Aucune condamnation à mort n’était intervenue cette année-là aux assises du Finistère.

 

En regrettant l’indulgence du jury et en rapportant l’ahurissant «Et les frais, ils sont pour moi ? » de Jaffrès,

un journal concluait « Et voilà la brute pour laquelle le jury a cru devoir témoigner de l’indulgence »

 

Pourquoi cette mansuétude ?

Notre enquête nous a fait découvrir une historienne bretonne se documentant aussi

sur l’affaire Jaffrès. Annick Le Douget, de sa profession greffière au Tribunal de grande instance de Quimper où elle traite de l’exécution des peines.

Elle pense que Jaffrès doit d’avoir échappé à la peine capitale au hasard du calendrier

qui fit délibérer des jurés très catholiques à la veille de la Toussaint, subsidiairement

mais habilement rappelée par Maître de Chamaillard.

Nous citons « Le Finistère » du 3 novembre 1894 :

« Si les jurés cependant croient à la culpabilité de l’accusé qu’ils lui accordent, du moins,

les circonstances atténuantes.

C’est après-demain la fête des morts.

Nous aurons tous à demander la miséricorde de Dieu pour nos défunts ;

afin de la mériter, accordons d’abord notre miséricorde au vivant »  (****)  

(*) Pour les plus jeunes, rappelons très brièvement cette « grande affaire »…La nuit du 4 au 5 août 1952, un couple de vacanciers britanniques et leur fille, les Drummond, furent assassinés à Lurs, où ils faisaient du camping sauvage sur les bords de la Durance, dans les actuelles Alpes-de-Haute-Provence, alors «Basses Alpes ».

Le « patriarche de la Grande Terre », Gaston Dominici, le vieillard propriétaire des terres sur lesquelles eut lieu le crime, le  nia, avoua, se rétracta, à l’instar de Jaffrès…

Il fut condamné à mort mais il ne fut pas exécuté.

D’aucuns prétendent qu’il s’est un moment accusé pour masquer la culpabilité d’un membre de son clan ;

d’autres imaginent même des thèses innocentant tous les Dominici et envisagent un crime de services secrets  ciblant Sir Jack Drummond, un savant nutritionniste.

  

(**) Les lits clos ne sont pas spécifiquement bretons ; ailleurs aussi, des armoires à sommeil protégeaient du froid.

Des panneaux que l’on faisait coulisser dégageaient  une petite entrée ; ils étaient souvent fort décorés.

 

(***) Louis Deibler appartenait à une dynastie de bourreaux d’origine allemande.

Il se fit la main avec Papa dans le Cantal, officia à Alger, fut le bourreau de la Bretagne (il vécut à Rennes)  avant d’être promu « bourreau national » et d’émigrer à Paris où il fut nommé en 1879 exécuteur en chef.

Il a fait rouler quelque 360 têtes dont 154 comme exécuteur en chef.

Les « critiques » lui reprochaient une certaine lenteur dont il se défendait en invoquant la crainte de l’accident de travail qui l’aurait mutilé aux doigts.

Louis Deibler collectionnait des vêtements des suppliciés !

Son fils Anatole, après avoir été son adjoint,  lui succéda en 1899 et œuvra jusqu’en 1939.

Il est tombé mort le 2 février de cette année-là  en se rendant en métro à la gare parisienne de Montparnasse 

pour aller avec son équipe  exécuter à Rennes  Maurice Pilorge, qui y gagna vingt-quatre heures de sursis.

 

(****) On peut faire un parallèle avec la non-condamnation à mort de Patrick Henry, assassin d’enfant jugé à Troyes en 1977.

On l’a attribuée à une éblouissante plaidoirie abolitionniste de Robert Badinter mais les confidences télévisées

d’un juré faisaient état de l’impact d’un prêche dominical contre la guillotine.

Annick Le Douget nous rappelle à cet égard que si l’Eglise a pratiqué et justifié des siècles durant la peine de mort,

elle s’est progressivement ravisée à la fin du 20e siècle et, notamment, en France, et à Troyes précisément,

sous l’influence de l’évêque local André Fauchet, alors président de la Commission sociale de l’épiscopat.

Annick Le Douget a écrit « Langolen, chronique d’un village de Basse-Bretagne », « Juges, esclaves et négriers en Basse-Bretagne », « Femmes criminelles en Bretagne » et, sur la peine de mort en Bretagne, « Justice de sang ».

Elle projetait à l’heure où ces lignes sont écrites  un ouvrage sur les crimes bretons suscités par des conflits conjugaux ou familiaux, à l’instar des forfaits de Jaffrès.    

Annick Douget _02 Collection Regard d'Es

Annick Le Douget

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UN AVOCAT DE QUALITE

 

Comme déjà relevé, Me de Chamaillard invoqua qu’en 1861, la Cour d’assises de Douai avait condamné à mort une Mme Bardin, en aveux d’un crime dont elle n’était pas  coupable, et qu’elle n’avait échappé que de justesse au couperet.

 

Vérification faite, il s’agissait de Mme Gardin, et non Bardin, née Rosalie Doize, accusée d’avoir tué son père, cultivateur à Bailleul.

Elle était en mauvais termes avec lui et l’avait effectivement menacé de mort.

Enceinte, elle crut sottement qu’elle allait être remise en liberté si elle avouait.

La Cour d’assises de Douai, sur la base de ses aveux rétractés,

la condamna non pas à mort mais à perpétuité en août 1861.

L’arrêt fut cassé.

Elle fut acquittée en novembre 1862 par les assises de la Somme, à Amiens,

où comparurent les vrais auteurs du crime (butin : une montre), deux journaliers,

dont un Vanhalwyl, fut guillotiné.

 

L’avocat de Jaffrès, Henri Ponthier de Chamaillard était un « ténor » du barreau finistérien, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats en 1891.

Il avait plaidé pour plusieurs procès retentissants et avait côtoyé la guillotine car il avait défendu Paul Faine, meurtrier et violeur d'enfants, exécuté en 1888.

En 1893 il avait été le conseil des célèbres frères « Rorique » condamnés à mort

pour piraterie par le Tribunal Maritime spécial de Brest (*).

Henri Ponthier de Chamaillard fut Sénateur du Finistère de 1897 à sa mort en 1908 ;

monarchiste convaincu il était reconnu pour ses grandes qualités professionnelles,

son éloquence et sa droiture(**).

On peut supposer, vu la situation financière désastreuse de Jaffrès, que son conseil avait été commis d’office par le bâtonnier.

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Me Chamaillard

Collection

Annick Le Douget

Chamaillard par Grandjouan Réveil Fin av

Collection Annick Le Douget

* Les frères « Rorique » s’appelaient en fait Degraeve, étaient issus d’une bonne famille d’Ostende et furent accusés du détournement dans le Pacifique d’une goëlette tahitienne de 50 tonneaux et de l’assassinat de tout l’équipage à l’exception du cuisinier. Condamnés à mort malgré l’absence de preuves, ils bénéficièrent d’une grâce à l’issue d’un fort mouvement d’opinion en leur faveur. Ils furent envoyés au bagne de Cayenne en 1895. Jules Verne se serait inspiré de leur histoire pour son roman « Les frères Kip ».

 

** Dans notre précédente édition nous avions à tort attribué le  rôle du défenseur de Jaffrès

à Ernest Ponthier de Chamaillard, frère cadet de Henri, plus connu comme peintre de l’Ecole de Pont-Aven et ami de Gauguin que comme avocat. Un personnage haut en couleurs ; André Salmon, critique d’art a dit de lui : « il n’aimait que l’art, le jeu et le muscadet, à un égal degré » ! Il a vécu à Châteaulin où il reprit son activité professionnelle en 1894, les membres de l’École de Pont-Aven s’étant peu à peu dispersés.

Les frères Rorique.jpg

Autre précision : d'après un document des Archives de France (à Aix-en-Provence) sur le bagnard Jaffrès il appert

qu’il fut condamné pour un assassinat (Mme Kerbrat) et un meurtre (Guillaume) et non pour deux assassinats. Rappelons que l’assassinat est un meurtre prémédité, « délibéré avec soi-même » (les menaces de mort proférées par Jaffrès, sa marche nocturne vers Kerbrat) et que le meurtre est un homicide volontaire (intention soudaine de tuer et passage rapide à l’acte).

 

Où commence la préméditation ?

Quand il y a un dessein formé dans la lucidité, un calcul, des préparatifs, un temps de réflexion… mais c’est souvent moins net que la préméditation de celui qui met plusieurs jours de suite de la mort aux rats dans la nourriture

de son conjoint…

 

Autre flou : la frontière ténue entre le meurtre – on veut tuer l’autre – et les « coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner ».

Considérations générales car, pour son crime le plus grave pénalement (l’assassinat), 

Jaffrès ne peut faire état d’un meurtre (plaidable s’il était venu discuter le jour avec Mme Kerbrat et,

vexé d’être éconduit, l’avait tout à coup poignardée et achevée) ni de coups et blessures mortels

(scénario où il lui porte des coups de poing et où elle tombe mal)…

 

Observons enfin que la relation du procès ne fait pas mention d’une expertise psychiatrique de Jaffrès,

mais son avocat n’a pas avancé l’argument d’un dérangement mental.

Maison Jaffrès, Salou Coativy (954 x 636

Maison Jaffrès à Salou Coativy 

Photo Charles Cassells 2008

Si psy il y avait eu, sans doute aurait-il notamment glosé sur le fait que, sur le corps de Mme Kerbrat, « le bas ventre et les parties sexuelles portaient des blessures affreuses et profondes… »

(acte d’accusation), « des plaies près des parties sexuelles faites après la mort » (p.-v. de constat du juge d’instruction Jean-Baptiste Hardouin, de Morlaix, le 8 août).

 

Rappelons que Jaffrès a affirmé qu’il n’avait jamais eu de relations sexuelles ni avec Marie Gabrielle Kerbrat ni avec la fille de celle-ci. Cette déclaration est apparue exacte aux enquêteurs.

 

Il apparaît aussi du dossier que Mme Kerbrat a laissé sa fille choisir

et que Jaffrès aurait donc pu en vouloir plus à celle-ci qui traita d’abord avec Cadiou à l’insu de sa mère…

 

Une autre lacune du procès de 1894 est que si Jaffrès passait pour buveur, l’enquête n’aborde nulle part son degré d’imprégnation alcoolique et la question de savoir s’il s’était imbibé plus que coutume avant de passer à l’acte.

On conjecture que Jaffrès buvait du lambic, une fine de Bretagne, alcool fort, dérivé du cidre, et qu’on ne confondra pas avec le lambic belge qui est une bière de froment de la vallée de la Senne, mère de la gueuze, de la kriek, du faro, mais que l’on trouve parfois encore sous sa forme originale, directement au fût.  

 

À l’époque du procès Jaffrès, les jurés français ne délibéraient pas comme ils le font aujourd’hui :

depuis la réforme pétainiste du 25 novembre 1941, ils sont neuf et délibèrent tant sur la peine que sur la culpabilité

« en une fois », avec les trois magistrats du siège.

  • De 1808 (Code d’instruction criminelle) à 1932, et donc lors du procès Jaffrès (1895), les jurés étaient douze
    et délibéraient seuls sur la culpabilité ;
    si leur verdict était de culpabilité, les magistrats, de leur côté, se prononçaient sur la peine.

  • De 1932 à 1941, les douze jurés siégeaient  toujours seuls sur la culpabilité mais fixaient la peine
    avec les trois magistrats ; c’est le système toujours en vigueur en Belgique

Par ailleurs, il existe en France, depuis 2000, la possibilité d’interjeter, sur le fond, appel d’un arrêt d’assises,

jadis définitif – comme toujours en Belgique - sauf cassation pour faute de procédure.

IL A VOYAGÉ AVEC DREYFUS

 

Jaffrès a été du convoi maritime qui mena Dreyfus en Guyane.

Alfred Dreyfus (1859-1935), officier français d’origine juive,

fut arrêté le 15 octobre 1894 pour espionnage au profit de l’Allemagne.

Condamné à perpétuité le 22 décembre de cette année, il fut détenu en Guyane de 1895 à 1899 et réhabilité en 1906, grâce notamment à l’écrivain Émile Zola et à son article « J’accuse » paru dans « L’Aurore » le 13 janvier 1898.

Dreyfus, dont le cas allait diviser la France, et Yves Jaffrès étaient sur le bateau-bagne « Ville de Saint-Nazaire » (*)

qui quitta la France le 21 février 1895.

Dreyfus était cependant enfermé seul, à part des autres condamnés. Ils arrivèrent en Guyane le 12 mars.

Dreyfus fut emprisonné à l’Ile du Diable à partir du 13 avril ; il n’avait pas là non plus de contact avec les autres forçats.

 

Jaffrès est répertorié « matricule Guyane n° 26905 - dossier H 487/Jaffrès –  78MIOM 345 ».

 

Yves Jaffrès n’a été l’objet d’aucune punition pendant son séjour au bagne, il n’en a pas eu le temps…

Il est mort à l’hôpital de Cayenne, cinq mois après son arrivée en Guyane.

Le décès est survenu le 16 août 1895, «à trois heures de relevée».

 

J'accuse.jpg

Des condamnés métropolitains et des colonies françaises furent envoyés en Guyane de 1852 à 1867 et de 1887 à 1938.

Ils étaient répartis en plusieurs catégories et sous-catégories.

Il y avait les déportés, pour raisons politiques ou pour crimes contre l’État (Dreyfus), les transportés, criminels de droit commun condamnés à plus de huit ans, comme Jaffrès, qui, même à l’expiration de leur peine, devaient rester en Guyane jusqu’à leur mort et enfin les relégués, généralement de petits délinquants, trois fois récidivistes, soumis comme les condamnés à moins de huit ans à l’obligation de demeurer en Guyane pour un temps égal à la peine déjà purgée, le « doublage ».

On pouvait donc être relégué au bagne pour quatre condamnations dues à  des délits tout à fait mineurs : vols à l’étalage, mendicité, vagabondage.

Prisoner roll call, Devil's Island 1939_

Collection at the National Archives,

College Park MD

Plus de photos ici ...

Les punitions encourues au bagne, souvent pour des peccadilles, transformaient une peine de quelques années

en très long séjour.

Même libérés, les condamnés n’étaient pas au bout de leur(s) peine(s) :

les quelques petits emplois qu’ils pouvaient trouver en Guyane étaient si mal payés que les ex-forçats ne pouvaient espérer gagner de quoi se payer un billet de retour vers la Métropole ;

ces hommes étaient de facto condamnés à rester à perpétuité en Guyane.

Les condamnés étaient d’abord regroupés à l’île de Ré (prison de Saint-Martin).

Après trois semaines de traversée de l’Atlantique sur le bateau-bagne, ils étaient triés à Saint-Laurent-du-Maroni,

centre de la zone pénitentiaire.

Il se trouvait peu de bagnards à Cayenne et comme il y avait un gros hôpital à Saint-Laurent, on ne voit pas trop comment Jaffrès aboutit au chef-lieu qui n’abritait qu’un petit pénitencier édifié entre 1867 et 1872 ;

on y détenait des individus jugés peu dangereux et souvent occupés pendant la journée à l’extérieur de la prison,

par exemple comme domestiques.

Jaffrès n’était manifestement pas, en début de peine, susceptible de bénéficier d’un traitement de faveur.

 

Pour le « pourquoi » de sa mort, on a le choix : le paludisme, la dysenterie, la lèpre sévissaient chez les forçats.

De 1909 à 1919, le paludisme en aurait tué 1435.

Autre hypothèse : les meurtriers d’enfants ont de tout temps été molestés, voire éliminés en prison

par leurs co-détenus : peut-être Jaffrès a-t-il connu ce sort-là ?

 

À noter que c’est à l’hôpital de Cayenne que se trouvait dans des bocaux une collection de têtes de forçats guillotinés pour des crimes commis alors qu’ils purgeaient leur peine dans l’enfer de cette Guyane, française

depuis le début du XVIIème siècle.

 

Cayenne a été fondée en 1643.

La Guyane fut utilisée pour la déportation de condamnés politiques dès 1792.

La colonisation de la Guyane, objet ultime de ce vaste projet de déportation n’a jamais été réalisée telle que  prévue, l’Établissement  Pénitentiaire a été un monumental fiasco, humain et économique.

Il est certain que l’Administration Pénitentiaire (appelée AP)  se préoccupait peu de réinsertion, mais on voit mal

ce que le transport de 100 000 condamnés (bagnes de Cayenne et de Nouvelle-Calédonie) dont seuls 3 à 4000

sont rentrés en Métropole,  a pu apporter à l’État.

En Guyane en particulier la jungle reprenait ses droits sur le terrain avant même le défrichement terminé. 

Le bagne de Guyane fut définitivement fermé en 1953. (**)

(*) Nous avons d’abord cru qu’il s’agissait d’un paquebot transatlantique

(ligne du Mexique, de Panama, du Chili…)  construit en 1871 et naufragé

le 6 mars 1897, entre New York et les Antilles, au large du Cap Hatteras.

Une voie d’eau aurait provoqué l’évacuation des 83 occupants dont seuls 15 auraient été sauvés par deux autres navires.

Mais un livre (« Les derniers voyages de forçats et de voiliers en Guyane »,

du Capitaine Louis Lacroix, communiqué par « Le Chasse-Marée »)  affirmait, lui,

que le bateau de Dreyfus et Jaffrès aurait « tranquillement » fini sa carrière vers 1915 comme navire charbonnier.

Il fallait élucider le mystère ; un lecteur du « Chasse-Marée » nous a alors conseillé

de consulter la Lloyd's de Londres. Ce qui fut fait.

Explication : en 1895 il y avait DEUX « Ville de Saint-Nazaire » en exploitation.

Le bateau-bagne était propriété de la Compagnie Nantaise de Navigation à Vapeur,

et c'est la deuxième unité du même nom, propriété de la Compagnie Générale Transatlantique qui a fait naufrage.

Le sinistre bateau-bagne a donc connu une fin paisible.

Ville de Saint Nazaire.jpg

Vapeur Ville se Saint Nazaire

C’est en 1886 que la Compagnie Nantaise de Navigation à Vapeur, fondée en 1882, était devenue adjudicataire pour le transport des forçats jusque-là effectué par la Marine Nationale.

Au retour de la Guyane, le navire se transformait en cargo « ordinaire », transportant vers la France du sucre des Antilles ou du charbon américain.

 

(**) Pour clore ce chapitre maritime, précisons que nous nous sommes interrogés, non pas sur le sexe des anges, mais sur celui des bateaux.

Quand fait-on précéder leur nom de « le » ou de « la » ?

Toujours « le » (bateau, navire, cargo étant sous-entendus) ou accord avec le genre du nom de l’embarcation ?

Nous avons recueilli des réponses savantes mais parfaitement contradictoires. Une belle controverse, trop étrangère à notre propos que pour la développer ici. 

LA POSTERITE DES VICTIMES

 

C’est à Marie Gabrielle Kerbrat et au petit Guillaume que doit d’abord aller la pitié.

Mais la suscite aussi la destinée particulièrement cruelle du bébé qu’attendait Marie Anne Kerbrat, la « fille à marier ».

 

Marie Gabrielle Kerbrat, veuve Le Menn, est née à Commana en 1852, fille de Cyprien Kerbrat (1818-1882)

et de Marie Manach (1814-1878).

Son petit-fils, Yves Marie naquit  au Tréhou le 28 octobre 1894, fut reconnu par Joseph Cadiou et reçut, ce qui est assez ahurissant, le prénom que celui de l’assassin de sa grand-mère, Yves Marie…

Prénom, Yves Marie, qui sera étrangement redonné en 1908

à un autre enfant de Joseph Cadiou et Marie Anne Kerbrat !

 

Destin tragique en tous cas que celui du premier des deux

Yves Marie Cadiou, car ce garçon est mort pour la France à 21 ans,

le 5 novembre 1915, à 9 heures du matin, à Tahure (Marne), vraisemblablement lors du bombardement de sa tranchée.

 

Le soldat appartenait au 19e régiment d’Infanterie, caserné à Brest

depuis 1871.

Il combattit victorieusement en Belgique, en août 1914, à Maissin (actuellement Paliseul, dans la province du Luxembourg)

où périrent quelque 4000 soldats français dont pas mal de Bretons.

Au cimetière militaire de Maissin, leur souvenir est honoré depuis 1932

par un calvaire, du Tréhou précisément. (*).

Et il existe à Brest une rue de Maissin rappelant cette bataille

à laquelle Yves Marie Cadiou survécut donc. 

Marie-Anne Cadiou 1909 c.jpg

Marie Anne Cadiou

1909

Collection famille Cadiou

Il périt quelque quinze mois plus tard lors de l’offensive de Champagne entreprise au début de l’automne 1915. Tahure, où il mourut, a été complètement détruit par la Grande Guerre ;

il ne reste que les ruines de l’église dans le camp militaire national de Suippes.

Pour se rappeler Tahure, son nom a été adjoint à celui de Sommepy (« Sommepy-Tahure »).

Un ami d’Yves Cadiou, du Tréhou et du 19e RI a également trouvé la mort à Tahure et se retrouve aussi

sur le monument aux morts de leur localité : Charles Soubigou (1884-1915).

 

Étonnant : parmi les soldats du 19e R.I. tués à Tahure figurait un François Marie Jaffrès, né le 2 août 1883

à Landivisiau, mais nous ignorons s’il avait un lien de parenté avec l’assassin de la grand-mère d’Yves Marie Cadiou

et du petit Guillaume…

 

Au Tréhou, la ferme des Cadiou se situait au lieu dit  Pleg (ou Beg) ar Roch.

 

Joseph Cadiou, fils de Jean-Marc Cadiou (décédé en 1887) et de Marie-Jeanne Tranvoez (décédée en 1890),

est mort à 81 ans, le 14 mars 1947.

Marie Anne est décédée le 15 novembre 1931 à Hanvec.

Ils ont eu treize enfants dont un, ou plutôt « une », Yvonne, est décédée en Angleterre en octobre 2007,

au moment où cette enquête touchait à sa fin... (**)

 (*) C’est Pierre Massé, ancien combattant de Maissin et membre actif de l’amicale du 19e R.I. qui fut l’artisan de la mise en valeur du cimetière

qui porte aujourd’hui son nom et l’initiateur du projet « calvaire ».

Fin août 1928, il exposa l’idée du transfert d’un calvaire à Emile Castus, bourgmestre de Maissin. Celui-ci en fit part au curé Schweich qui commença en 1929 une collecte qui rapportera 10.620 francs.

L’amicale du 19e R.I. prit contact avec Thomas Braun, bâtonnier de Bruxelles, poète ardennais, qui exposa le projet à Maissin et y suscita des souscriptions.

Le 22 août 1930, des délégations franco-belges concrétisèrent officiellement le projet et  un comité de transfert fut mis sur pied.

C’est le président de l’association archéologique du Finistère, M.Waquet, qui marqua son accord pour le transfert d’un monument et choisit un calvaire

du Tréhou qui, lui semblait-il, répondait le mieux au désir de l’amicale du 19e R.I.

Le recteur du Tréhou, l’abbé Le Boëtté, aumônier du 19e R.I. sur le champ de bataille de Maissin, transmit la demande au maire, M.Soubigou,

et par délibération du 6 avril 1931, le conseil municipal accepta.

Le comité de transfert fixa le mois d’avril 1932 pour le transport du calvaire à Maissin.

Le 3 avril, une cérémonie d’adieu eut lieu au Tréhou. Le calvaire et une pierre de granit furent pris en charge à la gare de Paliseul (Belgique)

par les camions prêtés par Jules Castus à la firme Donnart chargée de l’érection du monument.

Le calvaire fut inauguré le 20 août 1932.

On peut conjecturer que Charles Soubigou, tombé comme Cadiou à Tahure, avait un lien de parenté avec le maire cité ci-dessus.

En 1949 un nouveau calvaire, sous la forme d’une croix celtique, fut inauguré après procession et bénédiction à Croas Ty Ru, en succession du calvaire originel.

    

(**) Nous avons « retrouvé » treize enfants sur un extrait du livret de famille Cadiou-Kerbrat

1.Yves Marie (1894-1915) ;

2.Enfant anonyme mort-né (1896) ;

3.Jeannie (1897) ;

4.Marie Josèphe (1899) ;

5.Alain (1901) ;

6.François (1903), mort à sept mois ;

7.Marie Françoise (1904) ;

8.Marie Anne (1906) ;

9.Gabriel (1907), décédé à deux ans et huit mois ;

10.Yves Marie (1908) ;

11.Yvonne (1912) ;

12.Jean-Louis (1913) ;

13.François (1915).

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Le Tréhou

LA POSTERITE DU CONDAMNÉ

 

Yves Jaffrès était fils de Hervé Jaffrès et Marie Jeanne Riouall.

Il épousa Marie Anne Olivier, fille de Yves Olivier et de Marie Emery

(certaines sources orthographient Ollivier et Emiry) qui, au moment des faits, habitaient à Kerviliner en Lampaul.

Yves Jaffrès et sa femme demeurèrent à Lampaul-Guimiliau, Sizun et Ploudiry.

Revenons sur le destin de leurs cinq enfants.

  • Jacques-Marie, né le 13 octobre 1886, cultivateur à Sizun a épousé
    Marie Cueff, crêpière, ils ont eu deux filles, Yvonne, décédée très jeune, et Jeanne, à la santé très fragile, qui s’est mariée «sur le tard».

 

  • Jean-Marie, né le 12 mars 1891, émigré à Trappes (Yvelines) où il travailla
    à la SNCF.
    Père d’un fils unique, Marcel, il est décédé à Trappes en 1972.
    Marcel est mort en 2002. Il a eu deux enfants.

     

Jacques-Marie et Jean-Marie (dit « Bi ») furent tous deux élevés à Kervenan par leurs grands-parents et leurs oncle et tante.

 

  • Une première fille, Marie-Anne, née le 2 mai 1889 à Sizun,
    fut envoyée à l’orphelinat de l’Adoration de Quimper le 15 avril 1895,
    un peu moins d’un an après le décès de sa maman.
    Elle est entrée dans la congrégation de l’Adoration à la Providence
    de Quimper le 17 juin 1920.
    Elle émit ses premiers vœux de religion, comme sœur coadjutrice,
    le 11 octobre 1921.
    Elle portait le nom de Sœur Saint Jude.
    Une sœur coadjutrice ou sœur converse ne récite pas l’office canonial
    qui est réservé aux sœurs dites « sœurs de chœur ».
    Sœur Saint Jude, qui prononça ses vœux définitifs le 18 septembre 1927, fut responsable de la buanderie de la Providence de Quimper.
    Elle est décédée dans cette ville le 29 avril 1947.

 

  • Marie Herveline (1892-1960), élevée par son grand-père
    et sa tante Magdelaine, épousa en 1920 Joseph Léon (1883- 1951)
    et eut deux filles, Marie-Louise (1922-1995) et Joséphine (1925-1997). Charles Cassells (1955), coauteur de ces lignes, est le fils de Marie-Louise et de Charles Cassells (1920-1969) et le mari de Claire Prevosto (1959),
    de Brest.
    Ils ont trois filles, Clémence (1983), Pauline (1988) et Marianne (1991) et sont Bretons de Bruxelles.

    L’autre enfant de Marie Herveline, Joséphine (1925-1997),
    a épousé Hubert Puységur et a eu une fille, Claude Puységur (1959), épouse Landemaine.
    Claude a deux filles, Audrey (1987) et Elodie (1989).
    Elles vivaient toutes trois en 2008 dans la région parisienne.

 

  • Christophe-Marie, mort à quelques jours, en 1894.

Yves Jaffrès avait deux sœurs, Marie-Magdelaine, née en 1857,

dont une petite-fille,  Madeleine, vivait encore en 2008 à Sizun,

et Marie-Yvonne, née en 1856.

 

Selon « La Résistance-Croix de Morlaix » du 25 août 1894,

(journal qui cherchait sans doute comme le font encore les publications actuelles, à extraire le « dernier jus » de cette histoire),  Jaffrès avait deux oncles maquignons, décédés avant cette date

et qui « affectaient de ne mettre jamais les pieds à l’église » ;

cela dura vingt à vingt-cinq ans et, néanmoins, on rencontrait l’un ou l’autre,

tous les dimanches, récitant son chapelet dans la campagne, en se promenant ».

Le journal ultra-catholique ajoute « Tous deux se sont convertis avant de mourir ».   

 

LES PAYSANS BRETONS DE 1894

 

« Les paysans bretons au XIXe siècle » de Yann Brekilien (1966 – réédition Hachette en 1994) fait revivre les conditions d’existence de Jaffrès et de ses victimes.

Omniprésence de la religion catholique, éparpillement de l’habitat des bourgs, unilinguisme breton (en 1830, en Basse-Bretagne, seulement un paysan sur cinquante savait le français) : rien de surprenant dans ce décor.

On apprend par contre que, quand il tua, Jaffrès, en délicatesse avec

sa propriétaire, était d’autant plus proche de se retrouver sans exploitation agricole que, dans sa région, les contrats de fermages, appelés « gouel-Mikael »

(fête Michel) (re)commençaient à la Saint-Michel, le 29 septembre.

Les noces peut-être escomptées pour se renflouer un peu

(Cadiou prit épouse pour cent francs) ne pouvaient de toute manière pas attendre, pour cause de bébé…, la coutume du mariage collectif du Mardi Gras.

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Jacques Marie Jaffrès

Collection famille Jaffrès

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Jean Marie Jaffrès

Collection famille Jaffrès

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Marie AnneJaffrès

Sœur Saint Jude

Collection famille Jaffrès

Marie Herveline au centre avec ses cousi

Marie Herveline Jaffrès au centre

avec ses cousines

Collection famille Jaffrès

Sur la négociation pré-nuptiale, Brekilien précise que le ou la- bazvalan

(de baz, branche, baguette et de balan, genêt) tenait en main une baguette de genêt et que son office et ambassade étaient très ritualisés.

Mais le livre donne à penser qu’il s’agissait le plus souvent d’hommes et assez fréquemment d’un second emploi pour les tailleurs.

On peut supposer aussi que les démarches des marieuses de Jaffrès et Cadiou

se firent sans la solennité et la symbolique gestuelle dont on usait pour des fiançailles moins précipitées et plus avouables.

 

Sur la justice, on lit que si Yves Jaffrès avait été innocent, il aurait pu en appeler

à son saint-patron, Yves Hélory de Kermatin, dit Saint Yves de la Vérité car il était invoqué pour la rétablir et faire mourir faux témoins et accusateurs

de mauvaise foi. Jaffrès, qui était roublard et menteur, connaissait certainement un dicton régional :

« Saint Yves était Breton. Avocat mais pas voleur.

Ce qui est bien de nature à émerveiller le peuple ! ».

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Enfin, on a une description plus précise du costume de l’accusé :

« … dans l’austère terre de Léon, la terre des prêtres, plus de fantaisies colorées mais des tenues solennelles.

Avec leur pourpoint noir et leur gilet à la mode Louis XV, ou bien leur gilet bas dégageant un large plastron empesé, les hommes ont l’air d’être perpétuellement en habit.

Leur chapeau rappelle celui des ecclésiastiques et seul le turban, bleu ou à carreaux, qui ceint la taille,

met dans cet ensemble une note moins grave.

Vers 1840, le costume des grandes occasions comporte quelquefois des bas rouges avec ornements à glands

autour des genoux… » 

PLOUDIRY ET SIZUN EN 1894

 

Fin XIXème les populations du Léon vivaient au rythme des pardons,

près des chapelles, visitées à dates fixes. Celui de Saint Antoine, près de Ploudiry (à deux pas de chez Jaffrès), rassemblait le premier dimanche de septembre

les éleveurs de porcs apportant qui une andouille, qui un pâté,

vendus aux enchères à l’issue de la fête.

Il y avait aussi celui de Loc-Ildut, lieu des trois fontaines (logis de divinités à l’ère païenne) où on baignait les enfants pour qu’ils aient les jambes solides et aussi, notamment, celui de Saint Herbot, où les éleveurs apportaient encore il y a peu les queues de leurs vaches en guise de talisman…

 

Les chapelles étaient quasiment toutes édifiées près des fontaines sacrées

des païens, l’Église ayant bien sûr pris grand soin de ne pas bouleverser

les habitudes de dévotion.

 

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En cette contrée entre estuaire, fleuve côtier et Monts d’Arrée, on imagine sans peine les soirées près de l’âtre

où on écoutait les histoires de korrigans, de fées ou… de crimes !

Mais la mémoire collective actuelle n’a pas conservé les traces de « L’Affaire Jaffrès » !

 

Le Pays des Enclos, comme on se plaît à l’appeler aujourd’hui, doit ses somptueux édifices religieux (églises,

arcs de triomphe, calvaires) à la prospérité venue de la culture et du tissage du lin.

Le lin, plante des pays froids, pousse très bien en Bretagne, pays où son rouissage est facilité par l’abondance

des cours d’eau.

 

Les cantons de Sizun, Ploudiry, Saint-Thégonnec et Landivisiau fournissaient une très grande proportion des toiles

à voile des marines européennes du XIVème au XVII ème siècle.

Les « Juloled » (marchands toiliers) achetaient régulièrement leurs graines de lin dans les pays de la Baltique 

(en actuelle Estonie, entre autres) car le lin dégénère au bout de deux ou trois ans sous les climats plus cléments.

Le rouissage des plants (lavage dans les ruisseaux utilisant l’action

de bactéries contenues dans la terre, afin de séparer les fibres)

faisait planer pendant les mois d’été une odeur pestilentielle sur tout

le pays (certains disent que ce sont les descendants de ces « Juloled »  qui élèvent aujourd’hui des porcs dans le Finistère !).

Il se dit aussi que c’est pour se faire pardonner ces odeurs immondes que les producteurs de lin ont fait édifier les bijoux de monuments religieux qui font la renommée de ces bourgs… 

Qui sait ?

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La prospérité des quatre cantons a disparu après l’imposition par Colbert de fortes taxes à l’exportation,

avec l’arrivée du coton et l’avènement de la machine à vapeur, réduisant la demande de toile à voiles.

 

Au cours d’une pénible reconversion, la terre n’étant guère fertile, le pays se lança dans l’élevage

des « postiers bretons », solides chevaux qu’acquéraient notamment les Japonais qui les trouvaient bien adaptés

à la taille de leurs exploitations agricoles.

 

À Lampaul-Guimiliau, des tanneries furent créées dans la deuxième moitié du XIXème siècle ;

il est d’ailleurs frappant de constater que dans ce pays de cours d’eau, de sources et de fontaines qu’ils croyaient autrefois habités par des divinités, les Léonards semblent s’être longtemps acharnés à exploiter cette richesse naturelle par des activités entraînant énormément de nuisances : odeurs, saletés, pollution des sols

(le rouissage, les tanneries, l’élevage des porcs)…

Aujourd’hui les choses ont bien changé, voir plus bas…

 

Yves Jaffrès, cultivateur dans les années 1890, exploitait sa ferme dans des conditions bien difficiles,

ses terres étaient pauvres, plutôt mal placées sur le versant de la vallée de l’Élorn, les communications mauvaises,

les débouchés limités.

Si on ajoute à ces conditions son penchant pour la boisson et sa paresse (citée par les témoins),

sa faillite s’explique facilement…

PLOUDIRY ET SIZUN EN 2012

 

Les communes de notre histoire font partie de l’arrondissement de Morlaix - communauté de communes du Pays de Landivisiau (Sizun, Commana, Lampaul-Guimiliau) ou de l’arrondissement de Brest-communauté de communes du Pays de Landerneau-Daoulas (Ploudiry, Hanvec, Le Tréhou).

Sizun, à 60 km de la préfecture Quimper, et Ploudiry sont des chefs-lieux de cantons ;

Sizun (2000 habitants, 58 kilomètres carrés) est plus peuplée et plus grande que Ploudiry

(800 habitants, 27 kilomètres carrés)

Sizun a la particularité d’avoir une section de commune partiellement autonome, Saint-Cadou,

« satellite » jadis célèbre pour ses ardoises.

Mais c’est à son enclos paroissial Saint-Suliau que Sizun doit ses 80.000 visiteurs touristiques par an.  

 

Aujourd’hui, Ploudiry et Sizun sont de paisibles bourgades, vivant de l’agriculture et (un peu) du tourisme. Dans les années 20 Sizun fut de nouveau secouée par une grande affaire judiciaire, l’affaire Seznec, déjà mentionnée.

La Bretagne agricole a été fortement affectée par les bouleversements

du monde rural de la deuxième moitié du XXème siècle, au moins aussi graves dans leurs conséquences que la crise du lin au XVIIIème.

Le remembrement des terres a fait disparaître de nombreux talus

qui quadrillaient le paysage, protégeaient les parcelles des intempéries

et abritaient de nombreuses espèces, tout en prévenant l’érosion due

au ruissellement.

Dans la région de Sizun comme ailleurs, les exploitations agricoles sont aujourd’hui beaucoup moins nombreuses, les fermes sont modernes,

de plus grande taille qu’autrefois et se consacrent à l’élevage des volailles,

des bovins et des porcs.

 

Sizun, grâce au barrage du Drennec, alimente en eau pure toute l’agglomération brestoise, l’époque du rouissage du lin et des tanneries

est bien révolue !

De plus en plus d’exploitants agricoles recourent aux méthodes biologiques

et s’efforcent de préserver ce territoire, véritable trésor naturel.

 

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On  retrouve tout de même à Sizun le pays de Jaffrès, bien que les mœurs soient – en apparence du moins – nettement moins violentes.

 

Ploudiry avait jadis une bien fière devise, en breton, à son blason :

« Le moindre gland devient chêne majestueux. Retenez bien la leçon ».

 

Mais Jaffrès n’avait cure des édifiants préceptes sylvicoles en parcourant nuitamment les bois pour aller tuer…

JOURNAUX CONSULTÉS

 

  • « Le Courrier du Finistère » ayant pour devise « Doue Ha Va Bro » (« Dieu et Patrie »)

  • « La Résistance- La Croix de Morlaix », un grand crucifix dans la têtière, avec les devises « Jesus a zo treac’h »
    (« Jésus par-dessus tout ») et… « S’ils te mordent, mords-les », ce qui, soit dit en passant,
    diffère très sensiblement de l’évangélique recommandation de tendre l’autre joue à qui vous frappe…

  • « La Dépêche de Brest »

  • « Le Finistère »

 

Les deux premiers journaux cités assassinent l’école publique, les maçons, les Juifs avec un rare entrain

et redeviennent élégants pour user de circonlocutions, sous-entendus et périphrases pour faire chastement deviner

à leurs lecteurs que Mme Kerbrat avait été jadis de mœurs légères et que sa fille, particulièrement jolie,

était enceinte jusqu’aux yeux.

D’où la recherche d’un mari à cent francs.  

 

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Recherches et textes : Charles Cassells et Jean-Claude Broché

 

Remerciements à :

Paul BRETON, ( Sizun) ;

Joseph CADIOU, ( Saint Urbain) ;

Sophie CARLUER LOSSOUARN et Émile CATINUS, spécialistes, français et belge, du 19e R.I. ;

Philippe DE RIDDER (Oret, Mettet) ;

Madeleine KERGOAT -  « Mado » (Sizun) ;

Annick LE DOUGET, Greffière au Tribunal de Quimper et Historienne, (Mousterlin-Fouesnant) ;

M.MIORCEC, ancien maire du Tréhou ;

Marcelle PENDU, née Cadiou, (Sizun) ;

Luc PERHIRIN, alias «Luc BZH », internaute de Sizun ;

Pierre PRIMOT, amateur de Marine, lecteur du « Chasse-Marée ».

 

Notre gratitude va aussi aux services publics français :

Archives municipales et communautaires de Brest (Mme Sonia Guivarch) ;

Archives départementales et communautaires à Quimper (Mlle Brossard) ;

Centre des archives d’outre-mer à Aix-en-Provence (Mme Hélène Taillemite) ;

Mairies de Hanvec (M. R. Le Bras, secrétaire général), Kernilis (Mme Claudie Troiville), Ploudiry, Sizun.

Merci à  Sœur Hélène Guillou, de la Congrégation de l’Adoration, et à d’autres couvents bretons.

Merci aussi à Jules Messinne, du Conseil d’Etat, professeur de droit pénal à l’ULB ;

à Kim Savina, de la rédaction de la revue « Chasse-Marée » à Douarnenez ; 

à Erwan Le Bris du Rest, de Quimper ;

à M.Pichon du club des retraités de Sizun

et à Benoît Gaspar, de Gougnies, journaliste honoraire et de bon conseil ;

à Mrs Louise Bloomfield, service historique du Lloyd's Register, Londres...

 

L’ «Hôtel des Voyageurs » à Sizun s’appelait jadis Hôtel Breton (nom de famille).

Marie Anne Kerbrat y travailla.

C’est là que le 13 avril 2008 se réunirent en toute convivialité treize personnes,

membres des deux familles (Jaffrès – Kerbrat) et « explorateurs »

du drame de 1894.

Ils allèrent ensuite constater que la ferme de Jaffrès, devenue annexe en partie effondrée d’un autre bâtiment, était vouée à la démolition, que l’on allait restaurer son auberge de prédilection au relais du pardon de Saint-Ildut et qu’il ne subsistait que quelques pierres de la masure de Marie Gabrielle Kerbrat.

Puisse souvent ainsi, comme en ce dimanche breton, l’horreur du passé faire place à un présent de paix et à un futur d’amitiés nouvelles…

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