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Chroniques d'un monde paysan à jamais disparu
Louis Conq de Tréouergat raconte ...
Source : "Les échos du vallon sourd" de Louis Conq - Brud Nevez
Remerciements à Lucien Conq
Les gars de l'Arvor
Des années vinrent où il nous fut nécessaire de vendre, sur pied, du bois à couper ou à arracher,
et c’était aux « gars de l’Arvor ».
Nous avions tellement de bois !
Mais pas grand-chose d’autre non plus.
Que c’était un plaisir, en particulier pour moi, de voir ces hommes, mi-paysans, mi-goémoniers,
à la peau endurcie et burinée par le vent salé de l’Océan, venir chez nous à Tréouergat.
Ils arrivaient le dimanche soir, le bissac sur l’épaule, par-dessus celui-ci, leur grosse pioche à déraciner le vieil ajonc,
et la serpe au pli du bras.
Dans le bissac, la boule de pain-maison et le lard pour la semaine.
Souvent, ils nous amenaient un plein grand mouchoir de berniques ou d’ormeaux.
Avec en prime, un parler savoureux et amusant, spécialement pour nous autres les gars du Menez ou de l’Argoat.
Que nous avions du plaisir à écouter l’accent de Fañch ar Rip de Lampol, ou encore celui de Saïk an Naeñch,
le vieux sonneur, avec leur inséparable Job ar Hopy !
Nous leur faisions une petite place pour dormir dans notre maison, si possible,
ou du moins pour une partie d’entre eux.
Mais quand ils étaient nombreux, ils avaient leur « lit » de paille quelque part dans les crèches.
Fañch, lui, appelait son fils, mais tout cela avec une si grande tendresse, le grand « gaster » ! :
Le dévergondé !
Celui-ci avait déjà les talons aussi durs que les sabots de ses chevaux.
Il montait, pieds nus, sur sa charretée de fagots d’ajonc sec, pour ranger proprement ses sabots de bois.
Et tout aussi bonnement, il en descendait de même, les pieds nus sur les piquants.
Ben mon vieux !
D’autres gars de l’Arvor, eux, réclamaient du « bois dur », du bois à fendre, à utiliser dans le fourneau,
à la place du charbon, dont on ne voyait plus la couleur.
C’était la guerre !
Ils venaient trouver mon père.
Celui-ci allait montrer de vieux arbres étêtés : des « têtards », qui encombraient les talus de nos terres.
« Cette pièce-ci, je vous la propose pour cinq cents livres (francs).
L’autre, là, davantage, ou moins »
Mais il revenait à l’acheteur de les scier et de les débiter, à sa convenance, avant de les enlever.
C’est ainsi que furent littéralement « balayés » de nos haies, tous les arbres creux et difformes.