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Journal d'un aspirant de marine
engagé autour du monde sur la frégate La Sibylle,
au XIXe siècle (1863 - 1864)
Épisode n° 18
2 Octobre 1863
Voilà une traversée qui m’a parue très courte et j’attribue cela à deux causes :
d’abord nous avons bien marché presque tout le temps et puis je me suis assez bien occupé.
Je prends goût aux calculs et je commence à les faire exacts et promptement.
Mon sextant a fait une avarie majeure, cependant je puis encore m’en servir ;
maintenant que je m’en suis servi longtemps et que j’ai pu l’apprécier à sa juste valeur, je m’aperçois qu’il n’est pas très bon, plus tard quand je serai officier j’en achèterai un. J’ai l’intention de continuer à travailler la question hydrographie et calculs elle est fort intéressante et exige un travail qui me plait ;
c’est pourquoi je serai forcé d’avoir plus tard un très bon instrument.
4 Octobre 1863
Hier matin après avoir fait des manœuvres impossibles toute la nuit pour attendre le lever du soleil, nous avons aperçu les terres d’Australie, quoiqu’il y ait passablement de brume sur la côte.
Comme nous avions bon vent nous avons donné dans les passes.
Nous avions vent debout dans l’intérieur pour gagner le mouillage des navires de guerre, alors nous avons mouillé un pied d’ancre et fait un signal de convention que le pilote nous indiqua pour demander un remorqueur.
Celui-ci qui était un misérable petit bateau mit cinq heures à nous faire faire sept miles ;
enfin le soir nous étions rendus à notre poste.
La baie de Sidney est ravissante comme coup d’œil, comme position militaire et comme port de commerce.
Elle est bordée de maisons de campagne qui réjouissent bien quand on vient de passer trente-cinq jours à la mer et surtout quand depuis la France on n’a rien vu de si joli ;
on est abrité contre tous les vents imaginables, à une distance des quais de deux longueurs de frégate ;
de notre mouillage nous apercevons le jardin botanique, on y fait de la musique tous les soirs et nous en profitons.
Nous n’apercevons que très imparfaitement la ville ;
parlons en un peu ; vous ne pouvez pas vous imaginer ce que c’est ;
on reste la bouche ouverte quand on voit ce que les Anglais ont fait de leur colonie de la nouvelle Galles du Sud.
Sidney n’est comparable qu’aux capitales d’Europe ;
c’est tout à fait une grande ville. J’y suis déjà allé faire un tour hier soir.
J’ai vu de grandes rues dans lesquelles il y avait beaucoup de monde, des magasins magnifiques, grands, bien approvisionnés, très bien éclairés ; des maisons très bien bâties à cinq et six étages et vous ne pouvez pas vous faire une idée du sentiment qu’on éprouve quand on compare nos colonies à l’Australie et quand on pense que les Anglais n’y sont pas établis depuis plus d’un siècle tandis que nous occupons les nôtres depuis deux au moins.
Il faut avouer que le peuple capable de transformer ainsi un pays sauvage est grand et intelligent.
5 octobre
Hier dimanche je suis allé me promener pendant tout l’après-midi ;
autant la ville était animée la veille autant elle était triste ;
dans tous les pays anglais et en général dans les pays protestants on ne sort pas le dimanche, on reste dans la tanière et on lit la Bible ou du moins on est sensé la lire.
Sur le point de nous rembarquer pour revenir à bord nous avons rencontré des prédicateurs ambulants, c’était des partisans d’une quelconque des innombrables sectes protestantes ;
ils ont commencé par chanter des cantiques, du moins je suppose que c’en était, puis ils ont fait des discours qui devaient être fort touchants si on en juge par l’air de componction qu’ils avaient pris pour parler.
L’auditoire était formé par deux ou trois hommes assis et fumant la pipe et par quelques gamins qui riaient de façon fort indécente.
Dans ma promenade j’ai vu de jolis édifices tels que l’Université, le Parlement, la Cathédrale archiépiscopale, l’hôpital, les chapelles Protestantes.
J’ai été interrompu en écrivant ma lettre ;
je suis de quart de huit heures à minuit, il était dix heures un quart quand de la dunette on crut entendre près de la terre le bruit que ferait un homme se débattant dans l’eau, justement nous avions un canot qui revenait de terre. Monsieur Pottier m’a envoyé voir ce qu’il en était ;
heureusement ce n’était rien, en approchant de la terre nous nous sommes aperçus que ce bruit était causé par le clapotis de la mer en s’avançant jusque sous une roche.
Je reprends le fil de mes idées et au nombre des jolies choses que j’ai vues je vous citerai le jardin botanique qui est la promenade publique et qui borde la petite baie à l’entrée de laquelle nous sommes mouillés.
Je ne vous parlerai pas des beaux navires de commerce mouillés dans les anses et ports, car il faudrait vous dire que malheureusement parmi eux il n’y a pas de français ce qui est toujours triste à conter.
Nous avons trouvé ici en réparation l’aviso à vapeur, le Latouche-Tréville qui appartient à la station locale de Taïti.
Pauvres colonies françaises !
Les navires qu’on y envoie n’y trouvent pas les matériaux dont ils ont besoin après deux ou trois ans de campagne.
Aviso de 2ème classe, le Latouche-Tréville. 1858-1886.
Faisait partie de la Division Navale de l’Océan Pacifique à Tahiti, de 1860 à 1867.
On le retrouve en 1879 dans l’Escadre de Méditerranée