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Chroniques d'un monde paysan à jamais disparu
Louis Conq de Tréouergat raconte ...
 

Source : "Les échos du vallon sourd" de Louis Conq - Brud Nevez

Remerciements à Lucien Conq

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Que préférez-vous Katell, recevoir ou donner ?
 

La construction de la nouvelle ferme était bien amorcée.

À chaque extrémité de la maison neuve, on avait prévu une grange avec une grande porte cochère.

Une rangée d’écurie « boutant » ces bâtiments formait de la sorte les deux ailes de la cour :

Du côté du soleil levant, les étables pour les bêtes à cornes, du côté du couchant, les écuries pour les chevaux.

Enfin, les soues à porcs viendraient clore l’arrière de la cour des vaches.

 

Les pierres de taille venaient de tous les côtés de nos terres, prélevées sur les roches que fendaient

et travaillaient « Piker-Koz », le Vieux-Piqueur-de-Pierre, et ses deux fils.

Que de blocs de granit finement taillés !

Le gamin de trois ans, que j’étais alors, restait ébahi devant le travail du Piker.

Sur la roche brute, dégagée de sa terre sur les côtés,

il faisait des trous de de la taille d’un goulot de bouteille,

bien alignés sur toute la longueur de la pierre, et espacés

l’un de l’autre d’environ un pied de 33 centimètres.

Puis il plaçait dans chaque orifice deux morceaux de fer plat

et un coin d’acier entre les deux.

Ces derniers recevaient alors, l’un après l’autre, un coup de masse jusqu’à ce que la roche se fende en longs et beaux morceaux.

 

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Ceux-ci étaient alors travaillés, raccourcis, arrondis, chanfreinés pour faire des manteaux

ou des corbelets de cheminée, des jambages et des linteaux pour les portes et fenêtres.

Ou parfois, ciselés au burin en arrondi, la pierre devenait un beau rouleau destiné à aplanir

les mottes des terres labourées.

 

Pas besoin d’aller bien loin chercher des roches valables : Il y en avait tant qu’on en voulait à dégager les garennes.

 

Des ciseaux de toute taille résonnaient à chaque coup de massette, du matin au soir, à longueur de semaine.

Chaque jour, un jeu de ciseaux était affûté et trempé à la forge.

Remis à neuf, ils remplaçaient pour le lendemain ceux qui avaient été utilisés aujourd’hui…

Quand la pierre se fendait bien droit, correctement, Vieux-Piker

était heureux et se mettait à chanter de sa voix forte.

Par contre, parfois la pierre était complètement gâchée,

et juste par les derniers coups.

Oh alors, plus de chansons !

Ça allait mal, vous l’imaginez.

La journée perdue.

Car la plus modeste pierre d’angle de porte lui demandait

sa journée de travail.

 

Le Piker ne se faisait pas prier quand on lui offrait un coup à boire.

Comme tout Léonard, « Il ne crachait pas dessus ! »

Mais le travail, c’était le travail.

Il était dévot aussi, bien qu’il jurât pire qu’un charretier

quand par malchance, « ça ne tournait pas rond »,

et qu’il avait amassé de la colère en lui.

Par exemple, il ne manqua jamais – au grand jamais ! – de retirer

son bonnet plat ainsi que sa chique pour dire pieusement avec les autres

un De Profondis, dès que lui parvenait l’annonce de quelque décès

dans les environs.

 

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Quel homme !

Avec ses longues moustaches à la « Vercingétorix », ses larges épaules et ses bras aussi forts

que les paturons de l’étalon de Pont-ar-Bleiz.

Comme Obélix, il était capable de soulever de vrais menhirs, je ne vous dis que ça !

Malgré son âge déjà avancé, il « en revendait » encore à ses fils, Biel et Youennqui n’étaient pourtant pas,

quant à leur taille, restés à mi-chemin.

 

Un beau jour, arriva le Vieux Salomon et son équipe de maçons.

Ils se mirent tout de suite aux fondations.

 

Tous les jours, en trottinant, je suivais grand-mère qui venait de Penn-ar-Prad avec un énorme chaudron de cuivre,

bien calé sur sa tête, plein de bouillie d’avoine brûlante pour le repas de midi des sept à huit hommes présents.

Vieux Salomon appelait la nouvelle bâtisse « Kerdoullo » :

La maison toute en trous.

À son avis, les fenêtres étaient trop nombreuses et aussi trop grandes.

 

Il était « tombé le pignon » à Penn-ar-Prad, ma petite sœur venait d’arriver.

Alors on vida quelques bouteilles tant en son honneur

qu’à celui de la maison neuve solidement debout.

 

Ah ! Bien sûr, il ne fallait y « regarder », ou être « chiche », si vous préférez, avec nos équipe de maçons.

Sinon, que voulez-vous, ils ne pouvaient plus vous faire du bon travail.

 

Une petite anecdote :

Dans une ferme bien connue du pays, on construisait une nouvelle grange

à « potées » pour les bêtes.

Et comme on n’arrosait que peu ou pas du tout, nos gars s’avisèrent malicieusement de demander à la patronne :

« Que préférez-vous, Katell, recevoir ou donner ? »

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« Quoi ? Recevoir ou donner ? Oh Triblé ! Qu’est-ce que vous allez penser là … ? 

Bien sûr, que je trouve mieux de recevoir ! »

 

« Bon, bon ! Alors vous recevrez Katell ! »

 

Les maçons ne réussirent qu’à lui faire une de ces cheminées enfumantes au possible.

Bien plus encore que celle du sabotier en sa paillotte.

Assez de fumée pour noircir comme il faut toutes les andouilles du pays.

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