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La légende de la chapelle

de Saint Ibiliau

et du manoir de Mesnaot

Plouguin histoire patrimoine tourisme randonnée finistere bretagne

Au bord de la route de Ploudalmézeau à Lannilis par le passage

de Tréglonou, à un petit kilomètre au sud du bourg de Saint-Pabu,

on rencontre, au-dessus de l'une des anses dessinées par l'estuaire

de l'Aber-Benoit, les restes de l'ancien manoir du Mesnaot.

 

C'est un édifice en équerre du XVIe siècle, assis sur une pente rapide d'où la vue s'étend très loin par-delà la rivière, sur le pays de Lannilis.

Quelques beaux vieux arbres qui paraient le manoir

de leur vigoureuse verdure ont été, selon la règle,

coupés et vendus récemment.

Manoir de Mesnaot Saint Pabu_01.jpg

Mesnaot n'offre pas, en son état actuel, grand caractère architectural.

Trois ou quatre portes cintrées, l'arc en accolade d'une fenêtre, des pans de murs de grand appareil mêlés

à des maçonneries plus modernes, décèlent seuls l'ancienne dignité du lieu, ainsi que le colombier croulant

qui s'élève au bas d'un grand pré, proche la rivière.

La maison à four passe pour avoir été une chapelle domestique,

mais n'offre guère plus de traces de cette affectation pieuse.

 

Mesnaot était un fief autrefois possédé, selon Guy Le Borgne, par des cadets de la maison Coëtivy-Taillebourg.

Il fut acquis, ainsi que Coëtivy et autres terres, par la famille du Juch ;

dont l'héritière l'apporta par mariage, tout au début du XVIe siècle, dans la famille du Chastel.

Vers le milieu du siècle suivant, Mesnaot appartenait au comte de Boiséon, et on le trouve possédé en 1733

par Alain-Marie de Guergonlay ; seigneur de Trouzilit.

 

Aux temps anciens, dit la légende, le château de Mesnaot était la résidence d'un gentilhomme avare et méchant,

prêt à tout sacrifier à sa passion de l’or.

Il n'avait qu'une fille, aussi belle que sage qui s'efforçait de racheter, par ses charités et ses bonnes paroles,

les injures et les violences paternelles.

Un jour elle revenait de faire ses dévotions à la chapelle de Saint-Ibiliau, lorsqu'elle croisa sur la route un cavalier

de mine hautaine, magnifiquement vêtu et monté.

Son regard brûlant d'une sombre flamme se posa un moment sur la jeune fille.

Or, ce cavalier, c’était le diable, Satan ou Belzébuth en personne, qui avait entendu vanter par son séide Hurcan

la beauté, sans seconde, de l’héritière de Mesnaot, et qui voulait s'assurer de visu si la réalité correspondait bien

aux dires de son lieutenant.

 

S'étant rendu compte qu’Hurcan n'avait point du tout exagéré les charmes de la jouvencelle, le démon ne rêva plus qu'aux moyens d'en devenir l’heureux possesseur.

Épouser en justes noces, cela ne se pouvait pour de nombreuses raisons, et le seul moyen praticable était encore d'acheter la jolie pennherez à son père, comme on achetait alors une belle esclave,

sur les marchés du Caire ou de Stamboul.

Satan n'ignorait pas que le seigneur de Mesnaot eût vendu son âme pour de l'argent.

Rien n'était donc plus facile que de conclure, avec lui, cet abominable accord.

 

En effet, après avoir longtemps discuté ensemble, les deux compères tombèrent d'accord aux conditions suivantes :

Non seulement le démon remettait, à l'avare, un coffre empli de pièces d’or, mais encore, il s'engageait à conduire en une seule nuit, l'eau de la fontaine Saint-Ibiliau, distante de trois mille pas environ, jusque dans la cour du manoir

de Mesnaot, où l'on souffrait du manque d'eau potable, et il promettait de renoncer à a jeune fille

s'il n'avait pas terminé ce travail avant que le coq ne chantât.

 

On se figure l'horreur et le désespoir de la pauvre victime quand son damné père lui apprit froidement

comment venait de disposer d'elle et de la vendre au price des enfers.

Elle pleura et supplia sans rien obtenir.

Afin qu'elle ne pût s'enfuir, le père dénaturé l'enferma sous double verrou, dans une chambre aux fenêtres grillagées, puis s'en alla quérir le maçon de Saint-Pabu pour lui faire poser, dans sa cour, une pompe avec vasque et jet d’eau.

 

Heureusement, une servante curieuse et fûtée avait écouté aux portes et surpris les détails du honteux pacte.

Très attachée à sa douce maîtresse, elle l’encouragea, à travers les barreaux de fer de sa prison,

et lui promit de la sauver des griffes du diable.

Celui-ci, dès la nuit descendue, se mit à la besogne, avec une ardeur enragée.

On l'entendait du manoir, briser les rochers, creuser le sol, pétrir l'argile des tuyaux.

L'aqueduc s'allongeait, se rapprochait à vue d'œil.

Encore une demi-heure, et Satan aurait tenu son engagement.

Mais la fidèle servante avait pris ses dispositions et elle veillait au grain.

Dans la soirée, elle avait choisi, dans le poulailler, un coq déjà endormi, l'avait apporté, sans le réveiller,

dans la cuisine et placé sous un cuveau renversé.

Quand elle crut le moment venu, elle enflamma une brassée d'ajoncs secs dans la cheminée, ouvrit la fenêtre et enleva brusquement le cuveau sous lequel sommeillait notre Chantecler.

 

Réveillé en sursaut, devant la flamme éclatante qui jaillissait du foyer, le coq ébloui se crut au lever du soleil.

Il lança à plein gosier, un si retentissant cocorico qu'on l'ouit depuis Brenduff jusqu'à Locmajan ;

et les oreilles chevalines du diable l'enregistrèrent d'autant mieux qu'il touchait déjà au portail extérieur du manoir.

Mais son aqueduc n'était pas achevé ;

l'eau ne jaillissait pas, comme il l'avait promis, dans la cour de Mesnaot.

La partie était donc perdue !

Satan lâcha un blasphème épouvantable, à faire crouler le ciel et se précipita, du haut de la colline,

au milieu de l'Aber-Benoît, où il s'engloutit en sifflant comme un lingot de fer rouge.

 

La canalisation que le Père du Mal avait établie apparaît encore en maints endroits entre Saint-Ibiliau et Mesnaot.

 

Ce sont des conduits de terre cuite, d'environ 0m. 50 de longueur, emboîtés l'un dans l'autre.

Le forgeron de Prat-ar-Roudous en avait transformé quelques-uns en tuyaux de cheminée.

Cet aqueduc, de construction certainement gallo-romaine, conduisait l'eau de la fontaine dans une villa

ou quelque poste militaire commandant un gué sur la rivière.

 

Quant au coffre empli de pièces d'or, on crut bien l'avoir découvert lorsqu'en 1889 un tailleur de pierres trouva

sous sa pioche, à Mezou-Radennec, une caisse de bois couverte d'une large tuile à rebord,

et qui contenait force pécune.

Malheureusement, ce n'était que de la monnaie de bronze, mais il y en avait tout de même 57 kilos, aux effigies de Maximin, Licinius, Severus, Dioclétien, Constance et Constantin.

À côté gisaient trois vases d'argent richement décorés au repoussé.

On a supposé que « le trésor de Saint-Pabu » représentait la caisse de quelque trésorier-payeur du IVe siècle, qui, surpris par une irruption de Barbares, l'enterra en toute hâte et ne revint jamais la chercher.

 

De même, le méchant seigneur, de Mesnaot n'est pas absolument un mythe.

Vers 1670, ce manoir était habité par un triste personnage, Philippe-Emmanuel de Kerlech, seigneur du Quistinic, cadet de la maison de Recervo, en Lampaul-Ploudalmézeau.

Son humeur était bizarre et cruelle.

Il payait volontiers à boire aux gens, puis sautait de la camaraderie la plus abandonnée à la haine la plus sanguinaire, avec cette versatilité particulière aux ivrognes.

Que de pauvres diables, d'abord généreusement abreuvés, avaient dû s'enfuir sous la menace

— heureux quand il s'en tenait là ! — de son pistolet d'arçon ou de sa flamberge dégainée d'un geste furieux !

 

À ses moments perdus, il s'occupait de sorcellerie.

Lorsque les magistrats de la Cour de Quimperlé perquisitionnèrent à son manoir de Kerguyomar, en 1660,

ils y dénichèrent un Cornélius Agrippa, ainsi qu'un recueil manuscrit de formules magiques

qu'ils ordonnèrent de brûler comme ouvrages prohibés et dangereux.

On voit comment la légende a pu naître et prendre corps.

Je crois cependant que Philippe-Emmanuel de Kerlech vécut et mourut célibataire,

et qu'il se contenta d'être voisin redouté et maître détestable, sans se monter par surcroît père indigne.

 

L. LE GUENNEC.

La Dépêche de Brest 11 août 1930

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