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Chroniques d'un monde paysan à jamais disparu
Louis Conq de Tréouergat raconte ...
 

Source : "Les échos du vallon sourd" de Louis Conq - Brud Nevez

Remerciements à Lucien Conq

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Les moulins de Tréouergat
 

Comme en beaucoup d’endroits, il y eut beaucoup de moulins.

À Tréouergat, il y en eut six autrefois : Kerbrieg, Penkêr, le Traoñ, Languionez, Pont-Prenn et le Vourc’h.

 

Tonton Visant, peu à peu, dut abandonner le sien.

Le moulin ne payait plus son homme à moudre et à porter à domicile uniquement du « grain-moulu-aliment-à-bétail ».

On ne faisait plus autre chose, ni farine d’avoine, ni farine de froment, et à peine quelques sacs de blé noir.

C’est ainsi qu’à son tour, son vieux moulin s’arrêta pour de bon.

 

Cependant, quel plaisir je goûtais, avec les autres gamins d’alentour, en allant à Pont-Prenn chercher quelques livres de farine de blé noir.

Le temps passe et va de l’avant.

Les choses changent et c’est ainsi.

 

C’est avec regret que je me remémore mon enfance.

Comme il me plaisait d’aller mettre le nez dans tous les coins du moulin, dans le caisson à grain au-dessus des meules, où l’on déchargeait les sacs.

L’essieu de la roue à aubes montait à la verticale jusqu’à ce caisson.

Sur cet essieu, des têtes de gros boulons rugueux secouaient à chaque tour de roue le grain de la trémie pour le faire glisser petit à petit entre les meules.

 

La meule supérieure tournait avec une jolie cadence, et il en coulait un fil de farine chaude et fine qui tombait tout droit dans le sac accroché à une sorte de tiroir sur le côté des meules du moulin.

Ces meules chantonnaient doucement à l’intérieur d’une sorte d’armoire en bois, tout en arrondi, ceinturant complètement les pierres meulières.

Ma foi, une belle pellicule de farine blanchissait vos effets, vos cils et vos sourcils, tout comme ceux de la meunière.

 

Quand je contemplais la roue à aubes du moulin, en dessous, c’était un autre plaisir des yeux que d’admirer l’eau giclant toute nerveuse, toute blanche, écumeuse et débouchant de l’étang par un canal à pic, en bois d’orme ou de chêne massif.

L’eau s’élançait du canal directement sur les ailerons-aubes ou les « cuillères » en bois dur de la roue, avec énormément de force.

Cette roue me semblait tourner encore plus vivement, là en bas, en entraînant, là-haut, la meule meunière supérieure.

 

L’autre meule, en dessous, ne tournait pas.

Elle était fixe.

C’était la première qui tournait sur la seconde en farinant si finement le grain.

De temps en temps, on relevait cette meule supérieure, de « chant », pour l’aiguiser :

Lui refaire les cannelures en biais à l’aide d’un marteau à aiguiser.

 

Et là-bas, de l’autre côté, dehors, derrière le moulin, imperturbablement, l’eau continuait sa course et sa chanson, toujours pleine d’écume, suivant maintenant la « ranvell-goll » pour aller chercher le Moulin suivant au Val du Vourc’h.

 

Au vrai, ce n’était pas seulement une paire de meules qu’il y avait à Pont-Prenn, mais deux, en parallèle.

Elles pouvaient tourner en même temps, ou l’une au bout de l’autre, selon les besoins, et s’il y avait suffisamment d’eau.

Autrefois, l’une des meules était consacrée à la farine d’avoine, tandis que l’autre était chargée du froment et du blé noir.

À l’autre bout de la demeure-moulin se trouvait un four qui n’était pas seulement destiné à cuire le pain, mais aussi à « déballer » le grain d’avoine.

 

Le four était chauffé jusqu’à un certain degré ; on y versait alors l’avoine.

La balle grillait.

Ensuite, le grain, un peu roussi, était sorti du four, puis passé au moulin sous les meules très écartées.

On le passait alors au tamis mécanique pour qu’il perde sa cendre d’enveloppe calcinée.

 

Enfin, il était moulu pour obtenir une farine bien fine qui faisait ensuite une bouillie légère, saine, digeste et nourrissante : un des grands plats journaliers des repas de nos vieux pères à Tréouergat dans les siècles derniers.

 

Assurément, ils n’étaient pas comme nous des mangeurs de patates.

 

Ils ne faisaient pas non plus leurs comptes comme aujourd’hui.

C’était déjà une « affaire » de se débrouiller, sans avoir été à l’école.

Et puis, cela n’avait rien à voir avec les comptes en français depuis que l’on est passé au système décimal.

La mesure de la terre, pour eux, restait le « journal » : la terre labourable en une journée, ou la terre suffisante pour produire une charretée de blé, ou tant de pas de terre.

Ils utilisaient également d'autres mesures : le « pouce », environ 27 millimètres, le « pied » : 33 centimètres.

Leur monnaie se comptait en « real », équivalant à 25 centimes ; il en fallait donc quatre pour faire un franc ; « l'écu » (le « skoued ») valait trois francs ; la livre équivalait au franc et le sou (gwenneg), valait cinq centimes.

 

Pont-Prennig rapportait qu'il avait vendu un jour, à Saint Renan, un bien joli veau pour la somme de 33 "écus" : un compte tout à fait « rond ».

Le soir, en revenant en charrette, il s’avisa : « Si j'avais su que j'étais si près de cent francs, je n'aurais quand même pas limité mon prix à trente-trois skoued ! »

Monnayons encore autre chose.

À Pont-Prenn, il y avait une petite fête chaque fois qu'on curait l’étang, une fois par an.

On attrapait surtout des anguilles, une bonne manne parfois (un grand panier à choux pour les bêtes à cornes) de divers poissons, répartis ensuite, derrière le dos du garde-pêche, entre tous ceux qui avaient été à la peine.

 

Il y eut, et il y a toujours, des pêcheurs à la ligne autour de notre ruisseau.

Pour ma part, je fus à peu près nul à chaque fois que je m’y suis essayé.

Il m’arriva un jour de pêcher une jolie truite, à l'aide d’un malheureux hameçon fait d’une forte épingle.

Soigneusement, je l’apportais à Tante Valentine qui la mit de côté sous un bout de journal.

Nous retournâmes à la pêche, maintenant très intéressés, mais plus rien.

Même pas avec le secours fortement apprécié de la tante.

Revenus à la maison, surprise !

Le joli poisson s’était envolé.

Le chat s’en pourléchait encore les babines.

Cela, non plus, ne risque plus de m'arriver.

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